Le phénomène des Hikikomoris : une solution sud-coréenne ?

 Ville de Séoul, capitale de la Corée du Sud.

Par Yoann Poquet - Contributeur Le Contemporain.


I. Une allocation : la décision gouvernementale 


Dernièrement, les autorités sud-coréennes ont pris la décision de délivrer une allocation de 650.000 wons (environ 450 euros) à destination des jeunes isolés de 9 à 24 ans. Le ministre de l’égalité des genres et de la famille, Kim Hyunsook, a annoncé « renforcer le support pour permettre aux jeunes esseulés de retrouver un train de vie quotidien et réintégrer la société ». 


Dans un pays où selon les dernières estimations données par l’Institut coréen de la santé et des affaires sociales, environ 350.000 citoyens âgés de 19 à 39 ans peuvent être considérés comme seuls ou isolés, soit plus de 3% des individus de cette tranche d’âge. Un tel sujet devient progressivement prioritaire dans l’agenda politique gouvernemental. 


Ces individus sont souvent qualifiés d’« Hikikomoris », ne sont pourtant pas un sujet nouveau. Nomination à l’origine japonaise, ayant traversé la mer de l’est pour arriver dans la péninsule. Bien que ce phénomène ne porte pas de nom coréen, il est bien fortement présent en Corée du Sud. 


II. Hikikomori : une origine japonaise 


L’appellation « Hikikomori » émerge au cours des années 1980 au pays du soleil levant. Signifiant « celui qui est reclus », exprimant l’idée de « se retirer » de quelque chose, du monde extérieur. Le prénomme prend surtout son sens à partir des années 90, avec la publication d’un ouvrage du psychiatre Saitô Tamaki : « Les hikikomori, une adolescence sans fin » (en japonais : Shakaiteki hikikomori : owaranai shishunki, 1998). Dans ce dernier l’auteur cherche, en refusant le parti moralisateur et en se basant sur sa propre expérience clinique avec des patients, à déterminer comment les familles peuvent soutenir les personnes en retrait pour les aider à se rétablir. Cet ouvrage avait d’ailleurs fait controverse à l’époque du fait qu’il évoquait une contribution des caractéristiques culturelles à ce phénomène.


Rapidement, le gouvernement japonais va préciser ce terme en définissant un hikikomori comme « toutes personnes vivant enfermées chez elles depuis plus de six mois sans avoir de contacts avec des personnes extérieures à leurs familles. Elles ne travaillent pas et ne font pas d’études. Elles ne sont pas atteintes de maladie mentale ». Pourtant cette définition peut être discutée, elle semble assez floue. D’abord puisque les hikikomoris peuvent sortir de chez eux pour faire leurs courses, et même aller travailler pour certains. Mais aussi du fait que le trouble psychique est l’une des raisons principales de la naissance d’un tel phénomène. On peut y voir, une tentative de diminuer le nombre d’individus répondant aux critères autant que possible, afin d’adoucir la réalité. La notion de « Hikikomori » est bien plus complexe que cette simple définition. 


Ce sont surtout des individus ayant développé une peur de l’extérieur, de la société dans son ensemble. Ils renoncent à toutes activités extérieures ou du moins à celles les moins vitales. Et pour certains restent dans leurs chambres ou appartements, avec pour seuls contacts les plateaux repas de leurs parents. 


Il faut toutefois supprimer une idée conçue à propos des Hikikomoris. Du fait de leur nombre important au Japon, plus d’1,5 million selon les dernières enquêtes (2015-2018), les profils sont assez divers. Ils peuvent à la fois être de jeunes hommes tout juste diplômés, ou bien de simples seniors sans emplois. Selon plusieurs estimations, en décembre 2018, le Japon comptait environ 613.000 Hikikomoris entre 40 et  64 ans dans l’ensemble du pays. Et près de 540.000 dans la tranche d’âge 15 à 39 ans. Ce phénomène touche aussi bien les grandes villes que les plus petits villages.

 

Ces chiffres ne vont qu’augmenter dans les années à venir, notamment du fait que la plupart de ces hikikomoris ne rencontrent aucunes difficultés matérielles. Selon Saitô Tamaki, ces individus sont dans leurs majorités entretenus par leurs familles, donc ils vont vieillir sans changer leurs pratiques. C’est un problème qui ne peut que durer. 


III. Un phénomène régional : révélateur d’un mal-être asiatique ? 


Alors pour quelles raisons ce phénomène ne semble toucher en majorité que des pays de l’est asiatique ? 


Évidemment, il existe des jeunes isolés en Occident mais le cadre est bien différent. Les sociétés occidentales comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne sont caractérisées par un individualisme. La culture ne permet pas aux jeunes de cohabiter avec leurs parents. Ainsi certes il doit exister de nombreux individus reclus chez leurs parents mais dans l’ensemble le phénomène repose davantage sur de jeunes adultes sans-abris. Rien qu’aux États-Unis, ils seraient plus d’1,6 millions. On est bien loin des 100.000 jeunes sans-abris japonais. 


L’aspect culturel prend tout son sens. Les Hikikomoris se manifestent dans des sociétés où la famille prend une place importante, au point de vivre une vie ensemble. Le taux de cohabitation avec les parents est très élevé, expliquant ces chiffres importants.  


Du côté des raisons poussant les Hikikomoris à se renfermer sur eux-même, elles sont assez similaires entre les pays de la région. La plus évidente reste l’extrême compétitivité de la société coréenne et japonaise. Notamment au sein du système scolaire. Très jeunes, les enfants sont confrontés à une compétition pour les meilleures écoles, notes ou places aux examens. Renforcé par une pression sociale importante, de la part à la fois de la société mais aussi des proches. 


Par ailleurs, le harcèlement scolaire, ou au travail, est une grande cause de ce phénomène de Hikikomori. Au Japon, en 2019, ce ne serait pas moins de 600.000 personnes qui auraient été victimes de harcèlement scolaire. Et encore ce chiffre n’est que celui indiqué par le ministère de l’éducation. Il peut être éloigné des réalités du terrain. Ce harcèlement irrigue l’ensemble des segments de la société, de l’école élémentaire à l’Université. D’autant qu’une part importante de ce harcèlement commence dès l’école élémentaire, à une période où l’enfant se forge psychologiquement pour toute sa vie. Il semble compliqué de nier le lien de causalité entre harcèlement scolaire et isolement. 


Et les difficultés rencontrées pour trouver un emploi dans un système social dur ne facilite pas l’intégration de ces personnes souffrant de divers troubles. Il en est de même en Corée du Sud, où la pression scolaire et sociétale cohabite avec un problème de harcèlement. D’autant que le phénomène explose de nos jours avec l’attrait que le monde virtuel représente pour cette jeunesse, et pas qu’eux. 


IV. Une solution incomplète pour la Corée du Sud


Ce phénomène des Hikikomoris est un véritable problème pour la société sud-coréenne. Ces jeunes isolés représentent une partie de la population ne travaillant pas. Ce qui a l’avenir pourrait avoir des conséquences importantes à la fois sur l’économie du pays mais aussi sur la société en elle-même. Avec cette prime, le gouvernement sud-coréen à dans l’espoir de réintégrer ces jeunes à la société en les poussant vers l’extérieur.

 

Dans la péninsule, les jeunes isolés sont souvent issus de milieux défavorisés, et n’ayant aucun travail, ainsi avec cette allocation le gouvernement cherche à les faire sortir tout en  affrontant le chômage. Il s’élève à plus de 7,2% dans le pays, et peut expliquer en partie la situation de nombreux jeunes isolés, que ce soit des hommes ou des femmes. 


La Corée du Sud dispose déjà de projets de soutien aux jeunes reclus. C’est le cas de la ville de Séoul qui fournit des conseils en santé mentale par l’accès à une formation professionnelle ou à des accompagnements personnels. Mais cette allocation renforce ce dispositif en allant un cran plus loin. Elle pourra permettre de faire face également à une conséquence de l’isolement : le suicide. Des sociétés asiatiques comme celle japonaise et sud-coréenne sont toutes les deux touchées par un taux de suicide important. Un rapport du ministère de l’égalité des genre et de la famille sud-coréen établissait le suicide comme la première cause de mortalité chez les 9-14 ans. L’allocation permettra à ces jeunes d’accéder à des soins psychologiques, et par la même occasion d’aider ceux qui sont isolés. 


Le Covid a joué un grand rôle dans l’augmentation du nombre de personnes isolées au sein de la société sud-coréenne. On estime à peu près à 1/5 de l’ensemble des jeunes isolés, ceux qui se sont coupés de la société en conséquence du Covid-19. Une grande partie d’entre eux a déjà quitté cette phase d’isolement avec la reprise des voyages intérieurs et à l’étranger. Mais ce qui certain, c’est que la politique « anti-covid » sévère menée par le gouvernement a laissé des traces durables au sein de la société. 


Pour autant, cette allocation est-elle suffisante pour résoudre ce problème ? Une somme d’argent ne peut résoudre l’ensemble des raisons ayant poussé ces jeunes à se renfermer. Entre la pression sociale, le coût de la vie, le harcèlement scolaire et au travail, les jeunes isolés voient bien plus d’avantages à rester chez eux le plus longtemps possible. Une somme d’argent alloué à cette jeunesse peut résoudre des problèmes dans l’instant mais ce phénomène d’enfermement s’inscrit dans la durée. Le mal être sociétal d’une partie de la jeunesse coréenne se poursuit. 


Autre fragilité de cette décision, l’allocation donnée par le gouvernement concerne seulement les plus jeunes, toutes les tranches d’âges entre 9 et 24 ans. Or le phénomène de Hikikomoris présent en Corée du Sud touche également des tranches d’âges plus vieilles. Un nom est d’ailleurs apparut pour les désigner, le « problème 8050 ». Évoquant les hikikomoris de 50 ans à la charge de leurs parents dont l’âge tourne autour de 80 ans. Aucune solution ne semble pour l’instant avoir encore été pensée pour s’adresser à cette catégorie. Symptôme d’un gouvernement sud-coréen n’ayant pas encore pris conscience de l’ampleur du problème. 


V. Le réel objectif : combattre le déclin démographique 


Cette décision politique de résoudre le problème de l’isolement des jeunes prend place dans une politique plus globale, celle liée au vieillissement de la population. La Corée du Sud demeure le seul pays dont le taux de fécondité est inférieur à 1, avec en moyenne 0,78 enfants par femme, notamment pour des raisons économiques. Les jeunes hikikomoris représentent une part importante d’individus ne travaillant pas, or la population ne cesse de vieillir. Le renouvellement des générations est difficile avec un taux de natalité faible. Les jeunes sont désormais moins nombreux dans le pays. La proportion de personnes âgées de 65 ans et plus devrait passer de 17,5% en 2022 à environ 46,4% en 2070. Tout comme, elle est passée de 2,9% en 1960 à 13,1% en 2015. La Corée du Sud est le pays avec le vieillissement le plus rapide parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). 


Le manque de main d’oeuvre, lié à ce vieillissement peut mener à un ralentissement économique et à l’augmentation du coût des soins des personnes âgées ainsi que des infrastructures. Résoudre ce problème d’isolement d’une partie de la jeunesse semble avant tout un enjeu économique pour le futur. 


En somme, la décision du gouvernement sud-coréen vise à répondre d’abord à un problème économique pour l’avenir du pays. Elle permet seulement de résoudre des problèmes à court terme, laissant le phénomène d’isolement se poursuivre. Toutefois, cette décision démontre l’ouverture du gouvernement sud-coréen à la question des Hikikomoris, laissant place à l’avenir à une réflexion sur le mal-être d’une partie de la société coréenne.

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