Politique française : La Décennie du Calcul

 Hémicycle du Sénat.

Il est commun désormais de dire qu’en France l’univers politique ne convainc plus autant qu’avant et que l’image des personnalités s’est dégradée. Leur rôle a évolué vers une forme gestionnaire de la politique, augmentant la part du calcul à court terme au détriment de stratégies globales. La confiance, et par conséquent les attentes des citoyens, ont été revues à la baisse. Les chiffres le disent, les attitudes le disent, les protestations le disent.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. Dégradation de la confiance des citoyens


Il y a toujours un thème de tension du moment, suivi d’un autre qui peuvent laisser croire à des séquences successives sans aucun lien entre elles. Une facilité serait d’en accuser le Président, ce qui reste une activité privilégiée en France, mais la tendance est plus lourde et antérieure à 2017. Le quinquennat actuel et le précédent n’ont fait qu’accentuer un phénomène sociologique plus vaste et plus ancien, masqué par l’enthousiasme de l’élection de 2017. Ci-dessous extrait du baromètre Opinionway/CEVIPOF sur la confiance des Français dans les institutions politiques deux ans après la première élection d’E. Macron :



II. Absence de vision politique et parcellisation


Invoquer l’image d’Epinal sur la morosité ou la mauvaise humeur chronique des français serait une mauvaise piste d’analyse car elle impliquerait une absence de responsabilité politique dans cette évolution. La principale raison réside dans le passage lent mais certain du mode « vision de société » à un mode parcellaire et départementalisé de la politique. La culture du résultat s’est installée, mais au lieu d’en vérifier les efficacités stratégiques, comme dans n’importe quelle entreprise bien gérée, la place a été laissée à la complexité technique sans vision globale. On a vu apparaître une forme scolaire de travail politique en lieu et place d’une force d’inspiration dotée de moyens. La récente réforme de la retraite est emblématique de cette tendance : un projet de large transformation de la société ramené à des justifications techniques et financières de court terme, sources de conflits d’experts, et produisant les effets de déstabilisation politique que la France traverse actuellement. La culture numérique induit la vitesse et le chiffre car les outils le permettent, mais les mouvements de transformation de la société ne peuvent se contenter de cela.


III. Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup


La communication politique a suivi ce chemin, centrée sur les « comment » et rarement ou jamais sur les « pourquoi » . C’est devenu la norme, avec en prime un goût incontestable pour la complexité, les détails empilés, et les avalanches de mots sans avalanche d’effets. On peut imaginer sans peine que la gestion d’un pays soit compliquée, mais le citoyen, en bout de piste, a besoin de comprendre rapidement pour pouvoir se faire une opinion. La simplicité et la rareté peuvent être de bons alliés lors d’une communication politique. Les chiffres sur la confiance sont représentatifs d’une sorte de « partage de la complexité » devenu la norme, et à l’évidence contreproductif.


Le parallèle avec l’univers commercial est criant : prenez n’importe quelle personne qui a quelque chose à vous vendre. Si cette personne s’appuie sur des justifications compliquées ou vous explique ce que le produit n’est pas, et non ce qu’il est, il vous viendra deux sentiments à l’esprit : « je n’ai pas compris à quoi sert le produit » et « il (elle) a l’air de mentir ». Dans tous les cas, vous n’achèterez rien, car tout n’est pas qu’une question de prix.


IV. Trop de mots tuent les mots


Depuis 2017, le nombre de sujets stratégiques pour la France qui n’ont été partagés avec les français que par des circonvolutions oratoires sont légions. Retraite, Sécurité, Travail, Gilets Jaunes, Education, Laïcité, pour ne citer que quelques thèmes hors pandémie. Les mesures ou décisions qui s’en sont suivies, quand il y en a eu, ressemblaient toujours à des couches successives et minimales pour en arriver « in fine » à la décision lourde qu’il aurait fallu prendre dès le début. Comme si les français n’avaient pas le fond, la force, et le courage nécessaires pour affronter les problèmes directement et tout de suite. La pandémie Covid19 a été parsemée de ces petites escarmouches au ton politico-paternaliste propre à énerver tout le monde, sans jamais donner le sentiment d’une stratégie assumée. Pourtant, le premier confinement (mars 2020), exception dans la règle, a été appliqué et accepté sans protestation malgré les peines et les difficultés de chacun. La suite est connue : petites règles du jeu quasi hebdomadaires, ignorances non avouées de l’Etat, transformant le message en condescendance en lieu et place d’efficacité et compréhension.


V. Retrouver la simplicité argumentaire…


L’exécution est apparue comme la seule stratégie, et les détails techniques les seuls arguments. Cela peut paraître une vision méprisante de la politique, mais ce n’est pas le cas, cet article n’étant pas écrit pour exposer une opinion mais des observations. La réalité, si chère à l’argument politique, n’est pas présente dans ces amoncellements d’explications techniques tout simplement parce que la vie n’est pas cela. Peu importe les décisions prises, si on en assume les faiblesses, voire les échecs, au lieu de satisfecit à répétition. La prise de parole d’E. Macron en août 2021 sur l’Afghanistan est représentative : un état des lieux technique et non une analyse de l’échec auquel la France a participé de bonne foi. Les soldats morts n’ont pas servi à rien car ils ont tenu ce bouclier pendant des années, offrant ainsi un répit à ce peuple. Peut-être est-ce peu, sans doute un échec, mais ce n’est pas rien. La question de la « gestion de l’immigration » évoquée dans cette allocution n’a rien à faire là, car c’est un argument protectionniste et technico-politique, dans un drame international. Encore et toujours le « comment » dans la panoplie du soi-disant « concret » . Si on veut du vrai concret, comment sauve-t-on l’étudiante afghane à Kaboul, en ces jours encore maudits pour elle ?


V. … et le chemin de la confiance


La confiance en politique se crée sans doute par l’action, la promesse tenue, mais en grande partie aussi par la clarté des projets dans une vision d’ensemble et un choix de mots qui se rapporte toujours à cette vision. Personne ne dit que l’époque est facile. Mais personne ne rêve d’une liste de courses.


Cesser d’exécuter des choses et s’en réjouir mais penser les choses et en douter.


Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.


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