L’épisode des présumés ballons espions chinois : un nouveau coup de froid sur les relations diplomatiques sino-américaines ?

 Le ballon « espion » chinois pris en photo dans le Montana, le 1er février 2023. (Wikimedia Commons)

Début février, un ballon présumé espion chinois survole le territoire américain. Malgré les démentis de Pékin, l’objet est abattu par les forces armées américaines. Sabrina Lamandé revient sur cet événement et sur ses répercussions dans les relations, déjà tendues entre Chine et États-Unis.

Par Sabrina Lamandé - Contributrice de Le Contemporain. Diplômée d’un Master 2 en Etudes Européennes et Internationales et d’une licence d’anglais ( LLCER)

La destruction le 4 février dernier d’un présumé « ballon espion chinois » au-dessus de Surf Side Beach, au large de la Caroline du Sud, a généré une crise sans précédent entre les Etats-Unis et les hauts représentants de l’Empire du Milieu, dont les relations étaient déjà particulièrement fragiles. En effet, loin de faciliter l’apaisement entre les deux puissances cet évènement a au contraire alimenté une hystérie médiatique sans commune mesure dans les deux camps, laquelle a malheureusement participé à une escalade des tensions aussi inutile que dangereuse. Ainsi, aux désaccords majeurs sur des questions d’importance telles que le statut de Taiwan, l’Ukraine ou bien encore ou la coopération militaire des Etats-Unis et des Philippines en mer de Chine Méridionale s’est alors ajouté un point de crispation supplémentaire aux conséquences diplomatiques non négligeables puisque la visite d’Anthony Blinken à Pékin, prévue de longue date, a été annulée immédiatement à la suite de l’interception de l’appareil par les radars américains. Invoquant en guise d’argumentaire la violation de son espace aérien et donc par extension celle de sa souveraineté, l’exécutif américain, sous la pression des médias et du Congrès, a procédé dans les jours qui ont suivi à la destruction de trois autres objets volants non identifiés en l’espace de 8 jours : un record en la matière, spécifiquement en temps de paix.


Pour rappel, le 10 février 2023 - soit près d’une semaine après le premier incident reporté par les médias du monde entier - des avions de chasse américains Raptor F22 ont pris pour cible un objet cylindrique volant à moins de 60 000 pieds d’altitude au-dessus de l’Alaska. Le lendemain, avec l’accord de Justin Trudeau et du NORAD (the North American Aerospace Defense Command) des fighters jets ont reçu à leur tour l’ordre de détruire un engin similaire survolant la province Canadienne du Yukon. Enfin, en vertu du principe de précaution, un dernier appareil jugé suspect fut abattu le 12 février 2023, cette fois-ci au-dessus du lac Huron, dans l’Etat du Michigan.


En parallèle de ces actions ciblées pour le moins polémiques, les Etats-Unis ont rapidement mis en place des sanctions à l’encontre de six organismes de recherche et entreprises de pointe chinoises accusées de participer indirectement à d’hypothétiques missions d’espionnage. En effet, depuis le début de cette crise, Washington accuse Pékin de conduire un programme militaire de grande envergure destiné principalement à collecter des informations sensibles depuis les airs, en utilisant à ces fins des ballons espions dans plus de quarante pays, répartis sur tous les continents. En l’espèce, l’engin abattu par l’US Air Force en date du 4 février est suspecté d’avoir eu pour mission première de survoler des bases stratégiques situées respectivement à Hawaï et sur l’île de Guam. Il aurait ensuite malencontreusement dévié de sa trajectoire pour finir sa course au-dessus du territoire continental américain, qu’il aurait traversé d’Ouest en Est avant d’être finalement abattu au-dessus de l’océan, pour des mesures de sécurité.


La version chinoise officielle quant à elle réfute en bloc cette théorie et prétend que l’appareil détruit par l’US Air Force n’a jamais présenté de menace pour les Américains puisque cet objet volant non identifié serait en réalité un dispositif météorologique utilisé à des fins de recherche. La récupération ultérieure des débris de l’engin, couplée à des clichés pris par des avions de reconnaissance U-2 ont par la suite infirmé cette hypothèse, au grand dam des autorités Chinoises, qui n’ont pas tardé à réagir. Ainsi des médias proches du pouvoir telles que le Global Times ou le South China Morning post n’ont pas manqué de souligner à maintes reprises dans leurs tribunes le caractère infondé des accusations de Washington, jugées dangereuses.et fort dommageables pour le fragile équilibre des relations sino-américaines. Dans sa trame argumentative Pékin a également rappelé à qui veut l’entendre que l’usage de ballons espions est considéré par les experts comme techniquement obsolète et bien moins efficace que l’emploi de satellites, plus précis et moins repérables par les services « ennemis ».


En réalité, les ballons espions, utilisés déjà au temps des guerres napoléoniennes, sont des outils redoutablement efficaces pour passer inaperçu et braver les radars les plus perfectionnés, qui ne détectent pas les objets volant à plus de 45.000 pieds d’altitude. Pouvant facilement passer pour des engins civils inoffensifs, ils sont une couverture remarquable pour collecter des informations sensibles au-dessus de sites stratégiques. Le Pentagone prétend d’ailleurs que le premier engin abattu survolait d’un peu trop près la base américaine de lancement de missiles intercontinentaux Silos, située en plein cœur du Montana.


Face aux contre-arguments relativement rationnels de Pékin et à l’ampleur médiatique de l’affaire, l’administration de Joe Biden, très largement critiquée pour son manque de transparence et une gestion chaotique des évènements s’est elle aussi retrouvée en grande difficulté, y compris au sein même de la classe politique américaine. Le locataire de la Maison Blanche s’est vu ainsi reproché les sommes exorbitantes générées par ces opérations, dont le coût individuel avoisine a minima les 480.000 Dollars. Contraint par ailleurs de rendre des comptes auprès des membres du Congrès et de la population le Président a lui-même reconnu lors de sa conférence de presse du 16 février 2023 que ces objets volants ne représentaient, pour la plupart, pas de menace réelle pour les Etats-Unis admettant qu’il s’agissait probablement d’appareils « destinés à un usage commercial, récréatif ou scientifique ». Cette version des faits - plus apaisée - invalide donc les premières rumeurs véhiculées par les médias de masse et va dans le sens d’une désescalade plus que salutaire. Elle a permis par la suite la rencontre de diplomates et hauts dignitaires Américains et Chinois en marge de la conférence de Munich sur la sécurité, considérée par d’aucuns comme « le Davos de la défense ».


Cependant cet épisode somme toute assez nébuleux a laissé des traces et considérablement impacté les relations bilatérales entre la Chine et les Etats-Unis. Humiliée et diabolisée, Pékin a dans un premier temps déposé plainte contre les Etats-Unis par l’entremise de son ministre des Affaires étrangères Xi Jeng et refusé tout contact téléphonique avec l’administration Biden, avant de se raviser. Les autorités américaines de leur côté, sommées de réagir face à l’intrusion d’un engin volant non autorisé au sein de leur espace aérien, ont procédé à des actions ciblées de nature plutôt radicale dont la nécessité a été remise en cause par de nombreux commentateurs.


En effet, même si ces appareils présentaient potentiellement un danger pour l’aviation civile et militaire en raison de l’altitude à laquelle ils se trouvaient, leur destruction quasi-systématique, jugée exagérée, a fait couler beaucoup d’encre et envenimé une situation déjà très critique. C’est précisément cette disproportion de la réponse américaine face à une menace toute relative qui a généré la colère de la Chine, qui s’est empressée de parler de « Sinophobie » et de « paranoïa et hystérie collective » pour décrire la réaction des médias pro-Atlantistes. Pékin a également contre-attaqué en dévoilant que des ballons espions et appareils de surveillance américains avaient été repérés par ses services de sécurité au-dessus du Tibet et de la province du Xinjiang, sans pour autant en apporter la preuve.


Depuis la visite de Nancy Pelosi à Taiwan au mois d’août dernier, perçue par la Chine comme une provocation, les relations entre Washington et Pékin s’étaient déjà profondément aggravées. Avec ces nouvelles frictions et ce ping-pong médiatique interminable entre les deux puissances, la recherche d’une relation plus stable et apaisée semble plus que jamais compromise. Les sujets de discorde sont nombreux et les velléités pacifistes de moins en moins prégnantes : on assiste dans les deux camps à une radicalisation des postures qui empoisonne graduellement les relations sino-américaines. La guerre technologique à laquelle s’adonnent la Chine et les Etats-Unis est loin d’être l’unique front sur lequel les deux pays s’affrontent. Bien que le Président américain ait assuré sa volonté de rester compétitif sur ce plan, il convient de noter que le bannissement du réseau social TikTok aux Etats-Unis, suggéré par le CFIUS pour des raisons de sécurisation des données ne va pas dans le sens d’une accalmie et ajoute au contraire de l’huile sur le feu, alimentant la rhétorique acerbe de Pékin, qui de son côté a depuis longtemps interdit à Youtube, Twitter, Facebook et Instagram d’être utilisés sur son territoire. On assiste parallèlement à une polarisation des alliances de plus en plus nette, notamment avec la récente visite de Xi Jinping à Moscou, laquelle a donné lieu à un renforcement des partenariats économiques et militaires de la Chine et de la Fédération de Russie. Dans ce contexte de fracture grandissante entre l’Occident et les régimes autoritaires, l’épisode des ballons espions Chinois semble avoir servi de catalyseur pour exposer au grand jour des tensions de plus en plus palpables et une méfiance quasi-instinctive entre les deux puissances, désormais ouvertement à couteaux tirés.

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