Le numérique et le numéraire : une tension entre modernité et résilience

« Un tel préparatif est beau, dit-il, pour une course et carrière, mais je crains le retour et la continue de la guerre. » Ainsi s’exprimait l’évêque Jacques Amyot à la cour de François Ier, propos cités ici pour leur étonnante résonance avec notre époque.

En écho à cette sagesse, teintée d’une prudence intemporelle qui renvoie aux nécessités de l’autosuffisance et à celle d’un retour aux bases, et dans une veine gramscienne assumée, je vous propose d’interroger les tensions contemporaines entre progrès technologique et nécessité de résilience.

À l’heure où les discours publics distillent une sourde inquiétude face à l’escalade des risques géopolitiques, l’Union Européenne presse ses citoyens de se prémunir contre un éventuel conflit.

Ainsi, la Stratégie d’Union de Préparation, publiée en mars 2025, recommande à chaque foyer de constituer une réserve de survie, pour soixante-douze heures, comprenant vivres, eau, médicaments et .. argent liquide.

De même, la Banque centrale européenne (BCE), dans son bulletin du 23 septembre 2025, insiste : « Gardez votre sang-froid et conservez des espèces. »

Si la question du sang-froid mériterait un débat à part entière, l’accent mis sur le numéraire révèle une vérité essentielle : en cas de défaillance des infrastructures numériques, l’argent liquide demeure le seul rempart tangible et fiable.

La hausse de 36 % de la demande de billets lors de l’invasion de l’Ukraine en témoigne de manière éloquente.

Pourtant, un paradoxe se dessine.

Alors que l’Europe promeut le numéraire comme gage de sécurité, la BCE accélère le développement de l’euro numérique, attendu entre 2026 et 2028.

Cette monnaie digitale, bien que porteuse de promesses, suscite des réserves quant à ses implications sur les libertés individuelles et collectives.

Sa dépendance aux infrastructures numériques, vulnérables aux cyberattaques ou aux pannes, particulièrement en temps de crise, expose ses limites.

L’exemple de la Suède, pionnière d’une société sans cash, illustre ce risque. Des défaillances numériques à grande échelle ont désemparé ses citoyens, révélant la fragilité d’un système exclusivement numérique.

Par ailleurs, les 13,5 millions de personnes non bancarisées en Europe risquent d’être marginalisées par une transition mal pensée vers une monnaie numérique centralisée.

La BCE elle-même reconnaît cette dualité : « L’avenir pourrait être sans cash, mais le présent en fait un rempart. »

À cet égard, la Suisse, hors de l’Union Européenne, offre une perspective alternative.

Selon l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique, dont la brochure « Des provisions providentielles » recommande de prévoir des réserves pour sept à dix jours, incluant des liquidités, l’autosuffisance reste une priorité.

Cette approche, affranchie des systèmes numériques, contraste avec l’ambivalence européenne.

En 2025, face aux incertitudes globales, le numéraire n’est pas une relique du passé, mais un pilier de liberté et de résilience.

Le projet de l’euro numérique, emblème de cette ambivalence entre innovation et fragilité, appelle une réflexion nouvelle sur les politiques publiques.

Il s’agit de réconcilier modernité et robustesse, en puisant dans les leçons de l’histoire pour conjuguer progrès technologique et capacité à surmonter les crises.

Ce changement de paradigme, ancré dans une vision équilibrée, est une nécessité pour affronter les défis d’un monde incertain.

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