■ Marche contre l’antisémitisme, à Paris, le 12 octobre 2023, à l’appel des présidents des deux Chambres.
Pourtant, depuis le début du conflit israélo-palestinien, ces derniers ont bondi de 1000 % si bien qu’aujourd’hui 57% des atteintes aux personnes à caractère raciste ou religieuse vise une personne juive. Le chiffre est d’autant plus interpellant quand on sait que moins de 1% de la population française appartient à cette religion.
Jamais depuis les heures les plus sombres de notre humanité l’antisémitisme n’aura atteint un tel niveau si bien que, malgré l’inquiétude de la majorité de la population, le vivre ensemble semble fortement menacé.
Et pour cause, combien de juifs dissimulent leur judaïté pour se préserver d’un danger éminemment réel ? Combien de familles ont du retirer leur Mezouzah afin de ne pas subir d’actes de vandalisme ? Trop assurément.
I. L’antisionisme, le nouvel antisémitisme.
Nous sommes en décembre 2019 lorsque Sylvain Maillard évoque en plein hémicycle, l’apparition d’une nouvelle forme d’antisémitisme, plus sournois que son grand frère, l’antisionisme. Au-delà de réclamer sa pénalisation, le député LREM de Paris exhorte magistrats, enseignants et autres fonctionnaires en charge de la pédagogie ordinaire d’entreprendre une sensibilisation de masse. « L’antisionisme est le visage masqué de l’antisémitisme au XXIe siècle (…) Il y a un trou juridique dans notre législation » a expliqué Sylvain Maillard avant l’adoption du texte par le Palais Bourbon. Et pour cause, derrière une diabolisation de l’état d’Israël se cache une tentative de banalisation des plus mortifères de la haine du juif. Procédé fallacieux qui n’est pas sans rappeler celui mis en œuvre par l’Institut d’étude de question Juive (IEQJ) qui cachait, sous Vichy, ses intentions délétères en prétendant que les anciens combattants de Verdun seraient exclus des mesures restrictives, lesquelles étaient censées être réservées aux seuls juifs étrangers.
Comme à la fin du XIXe siècle où différents mouvements insurrectionnels - la Commune de Paris en tête – avaient vu accroître l’antisémitisme dans la capitale puis dans l’hexagone, les manifestations de Gilets Jaunes durant l’hiver 2019 ont favorisé sa résurrection puis sa croissance. Nous nous souvenons des insultes proférées contre le philosophe Alain Finkielkraut dans les cortèges qui furent notamment citées lors des travaux menés par le groupe d’étude de l’Assemblée nationale. Qualifié de « sale sioniste », Sylvain Maillard n’a pas manqué de rappeler que ce n’était pas ses convictions vis-à-vis d’Israël qui ont été la cible d’injures mais bien sa judaïté.
Bien qu’isolés, différents débordements ont été recensés entre octobre 2019 et février 2020 mais ce sera au sein des rassemblements contre le pass sanitaire l’année suivante qu’on comptera les plus grands déferlements contre les juifs. Nous nous souvenons notamment des pancartes « qui » notamment brandies par Cassandre Fristot ( ancienne élue FN – responsable de Civitas Grand Est avant sa dissolution) rendant responsables différentes personnalités politiques juives d’une prétendue dictature sanitaire. L’essayiste d’extrême-droite Alain Soral reprendra le pronom dans une série de vidéo intitulées « C’est parti mon Qui-Qui » où il dénonce un pseudo complot juif dans son site Égalité et réconciliation.
Dans un contexte socialement tendu par la crise sanitaire, l’antisémitisme devient monnaie courante au sein de la sphère complotiste, laquelle regroupe tous les bords politiques avec une prépondérance à l’extrême-droite. Au lendemain du 7 octobre, ce sera néanmoins l’extrême-gauche qui s’en fera la principale vectrice, au sein des manifestations mais aussi dans son discours politique.
II. Une recrudescence des violences à caractère antisémites
Nous sommes en juin 2024 quand la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) constate une flambée des actes antisémites en France lors du dernier trimestre de l’année précédente. Hasard du calendrier ou non, ce déferlement de violence intervient après les massacres du 7 octobre, rendant évidente la concomitance entre les événements.
En outre, le service de protection de la communauté juive (SPCJ) compte, fin novembre 2023, un total de 1500 violences antisémites depuis le 7 octobre soit l’équivalent en un mois d’une année entière. 2024 et ses différents faits divers ( agression d’un adolescent dans le métro parisien, tentative d’attentat à la Grande Motte, incendie de la synagogue de Rouen etc ) ne cessent de démontrer la réalité d’un antisémitisme croissant qui s’en prend aussi bien aux particuliers qu’aux lieux de culte.
Le 18 juin, une enfant de douze ans est violée et battue à Courbevoie ( Hauts de Seine ) en raison de sa judaïté, rendant concrètes les observations énoncées. Comme pour l’affaire du jeune Ilan Halimi enlevé puis assassiné par le Gang des Barbares en janvier 2006, si l’affaire émeut la France entière, elle confirme la tendance : la population juive, est, plus que jamais, la cible de violences et ce, quelque que soit son âge.
Dans une France condamnant majoritairement les violences faites aux juifs, qui sont donc ces antisémites prompts à passer à l’acte ? En existe-t-il un portrait type ou ce mal se révèle t-il protéiforme ? Telle est la question.
Toujours selon l’IFOP, 9% des français se sentiraient indifférents face à l’antisémitisme, cautionnant tacitement ce fléau dont ils se sentent exclus car « non- juifs. » Du désintérêt à la discrimination ordinaire, il n’y a parfois qu’un pas. En effet, les clichés autour du judaïsme ont la dent dure. D’après un sondage à l’initiative de la CNCDH en date de janvier 2024, les préjugés sur la prédominance des juifs dans la finance ou les médias seraient cautionnés par 60% des français. Deux-tiers d’entre eux y adhèreraient tout en ne se revendiquant pas antisémites. Des clichés qui contribuent à la stigmatisation des juifs et qui provoquent la méfiance des plus réceptifs à la propagande anti-juive qui polluent les médias sociaux.
III. Le nouveau visage de l’antisémite
Chez de nombreux partisans de l’ultra droite se retrouve un antisémitisme directement hérité des préceptes pétainistes, davantage sournois que l’antisémitisme revendiqué par une partie de l’extrême-gauche.
Durant les années 2000, Alain Soral et l’humoriste Dieudonné en furent les principaux représentants. L’association Égalité et réconciliation tenue par l’essayiste d’extrême droite regroupe royalistes, Maurassiens mais également révisionnistes et négationnistes. Articles stigmatisant des personnalités juives, documentaires réinventant l’histoire de la seconde guerre mondiale, le site devient une véritable pépinière de la « fachosphère », endoctrinant les uns radicalisant les autres, sous couvert de « ré information. » Le groupuscule « Monte ton équipe » fondé plus récemment par les Youtubeurs Papacito et Le Raptor, sous la direction du juriste Lucas Sztandarowski condamné cette semaine à cinq ans de réclusion pour incitation à la haine, en est l’héritier direct, ratissant toujours plus d’adeptes via internet.
Si la droite dure possède un antisémitisme profondément ancré, depuis les massacres du 7 octobre, c’est l’extrême-gauche qui s’en fait le principal héraut. Instrumentalisant la colère liée au massacre des civils de Gaza, certains représentants de La France Insoumise (LFI) renouent avec de vieilles dérives de gauche tout en reniant ses positions historiques, notamment au sujet de l’affaire Dreyfus, afin de conquérir un électorat radicalisé. Jean-Luc Mélenchon, en occultant l’escalade des violences commises contre la communauté juive tout en induisant que derrière chaque français musulman se cache une victime palestinienne, jette de l’huile sur le feu et accentue le clivage entre les différentes communautés. Pire encore, la volonté de certains élus d’extrême-gauche de faire des juifs français des partisans systématiques de la politique de Benjamin Netanyahou participe activement à leur stigmatisation. Bien que motivée par des besoins électoraux, cette volonté de diviser pour mieux régner nuit considérablement au vivre ensemble et à la paix intercommunautaire.
Aussi, selon la CNCDH, 46% des sympathisants de la LFI se revendiqueraient ouvertement antisémites. Les deux tiers adhéreraient à un antisémitisme dit « de circonstance », motivé par la propagande intensive générée par les réseaux sociaux tandis qu’un tiers, en partie âgée de moins de 35 ans, serait davantage imprégnée par les préjugés antisémites. Ceux-ci, majoritairement issus de milieux sociaux défavorisés compteraient parmi les héritiers directs de la « nouvelle judéophobie » pour reprendre le terme utilisé dans la thèse de Taguieff en 2000. Celle-ci, directement influencée par l’hostilité autour d’Israël de la part des populations étrangères (hors UE) ou encore des musulmans intégristes fabriquerait chaque année des dizaines de milliers de nouveaux antisémites.
Qu’il soit issu de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, qu’il intervienne en réaction au conflit israélo-palestinien ou qu’il soit le fruit de la radicalisation, l’antisémitisme est, et restera, un fléau des plus mortifères pour le bien commun. Quelle que soit notre religion, nous devons nous unir contre l’obscurantisme et refuser qu’une communauté soit la cible d’attentats, de violences ou d’actes de vandalisme. Face à l’antisémitisme, une réaction unanime et sans ambiguïté s’avère indispensable. La lutte doit être l’affaire de tous car s’en prendre à une personne parce qu’elle est juive revient à s’en prendre à la république dans son intégralité. Pour paraphraser John Donne, « nul homme est une île, un tout en soi. Chaque homme est partie du continent, partie du large. Si une parcelle de terre est emportée par les flots, c’est une perte égale à celle d’un promontoire. La mort de tout homme me diminue parce que je fais partie du genre humain. Aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. »
Notre devoir est de combattre toutes les haines.
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