La Chronique de Chem Assayag : « Le nouveau désordre mondial »

 Sommet des BRICS à Kazan, en Russie. (©Sergey Bobylev - BRICSRUSSIA2024).

Par Chem Assayag - 
Essayiste, Blogueur.

C’est une photo saisissante : on y découvre une quarantaine de personnes, quasi exclusivement des hommes en costume sombre – deux femmes dont apparemment Dilma Roussef l’ex-présidente du Brésil, et deux hommes en tenue moyen-orientale, constituant les seules exceptions. Ce sont les chefs des délégations présentes au sommet des BRICS qui s’est tenu du 22 au 24 octobre à Kazan, à 900km à l’Est de Moscou, qui posent pour la photo officielle du sommet.

Au milieu de cette assemblée, constituée d’un bon nombre de dictateurs et d’autocrates – on laissera à chacun le soin de faire les attributions, le seul vrai absent de la catégorie étant Kim Jong-un, le despote coréen – Vladimir Poutine, le maître de cérémonie et hôte du sommet, tend les mains en avant dans un geste d’accueil. Il semble ravi, et on croirait presque le voir esquisser un sourire.

Il a réuni les pays fondateurs des BRICS – Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud, en plus de la Russie – mais aussi des acteurs géopolitiques de premier plan comme la Turquie, l’Iran ou encore les Émirats arabes unis, et personne ne semble être gêné d’être à ses côtés. Celui qui est censé être un paria, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale, pour son rôle dans le conflit ukrainien, semble prendre un malin plaisir à narguer les pays occidentaux et leurs alliés en montrant à quel point sa compagnie est en fait recherchée. Il semble leur dire, et nous dire, regardez je suis au centre, au centre de la photo et au centre du jeu mondial.

Et ce qui est terrible c’est que Poutine n’a pas tort, le tout sous le regard bienveillant de la Chine. A défaut d’avoir gagné la guerre en Ukraine il ne l’a pas perdue. A défaut de pouvoir exporter son gaz en Europe, il l’exporte vers ses puissants voisins asiatiques. A défaut de pouvoir asseoir son pouvoir sur la satisfaction et la liberté de son peuple, il l’assoit sur la peur et la propagande. La Russie ne s’est pas écroulée sous le coup des sanctions redoublées, et le pays fonctionne désormais en économie de guerre, mais il fonctionne. Et Vladimir Poutine peut ainsi montrer à la planète entière qu’il est possible de résister au puissant Occident, dans les faits et symboliquement, qu’il est possible de le défier, et qu’il peut remettre en cause l’ordre mondial tel que défini depuis des décennies.

Ironie suprême, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, celui qui d’une certaine façon est censé être le garant du droit international est aussi présent sur la photo, apportant une étrange caution au maître du Kremlin. Mais cette image est décidément étonnante, car si on y prête attention on se rend compte que Guterres ne regarde pas l’appareil photo, mais sur le côté, hors cadre, comme si inconsciemment, il ne voulait pas être là, comme s’il ne pouvait pas totalement assumer sa présence. Car derrière le strict ordonnancement des personnages de la photo, les positions figées et millimétrées des uns et des autres, il sait et nous avec lui que cette photo nous parle du désordre du monde.

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