Assemblée Nationale : La Migration des Pouvoirs

 Urne de vote de l’Hémicycle.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.


En quelques semaines, depuis la dissolution-surprise de l’Assemblée Nationale, nous assistons à une potentielle évolution des sources de décision. Les historiens y trouveront sans difficulté des similitudes avec les IIIe et IVe Républiques dont les régimes parlementaires ont duré soixante-dix ans pour la IIIe République (1870-1940) et de 1946 à 1958 pour la IVe. On trouve des comparaisons géopolitiques également dans les constitutions du Royaume-Uni, du Canada, de l’Inde ou de l’Australie avec des différences locales et culturelles. Les français ont clairement exprimé la division du pays par un vote désignant trois blocs à quasi-égalité. C’est inédit, ce qui signifie que les réponses de gouvernance doivent pouvoir se trouver en dehors du champ traditionnel.

Une occasion de changement : Donc la question qui se pose aujourd’hui en France est de savoir si les élections législatives suivies de l’élection de la nouvelle/ancienne Présidente de l’Assemblée Nationale (Yaël Braun-Pivet) seront l’occasion d’un chemin vers une nouvelle forme de régime parlementaire. Le signal de cette nomination n’est pas clair en ce sens, mais laissons-lui la chance d’innover. L’autre option, c’est-à-dire la poursuite d’un régime semi-présidentiel accordant au Président les pouvoirs dus au suffrage universel, tels que la Vᵉ République le prévoit encore aujourd’hui, est donc challengée par cette nouvelle configuration. La condition d’une évolution reste que la nouvelle Présidence de l’Assemblée concrétise le pluralisme électoral dans l’échange, la volonté de structurer autrement avec une attribution des présidences de commissions (top jobs) représentative.

Le modèle de l’Europe : La comparaison avec le Parlement Européen pourrait présenter quelques pistes de travail, dans le sens d’une migration des pouvoirs vers l’Assemblée Nationale en France. En effet, l’aspect purement politique des groupes de parlementaires européens s’efface souvent face à une forme d’administration de l’Institution qui gomme les envolées lyriques partisanes au profit d’un travail sur les structures et les projets. Quiconque ayant travaillé au cours d’une carrière au sein d’une organisation internationale, même commerciale, saura de quoi il s’agit : la coordination est un travail de chaque minute qui nécessite de mettre de côté les opinions locales tout en ne les ignorant pas. C’est une gymnastique particulière, nécessitant une expertise particulière. La tradition de la coalition dans cet hémicycle européen est une manière efficace de trouver des compromis sans compromission.

Culture politique française : En France, et par une culture qui a peu évolué au sein des partis, les débats sont toujours cornaqués par les oppositions politiques ou idéologiques entre les groupes de députés au lieu de considérer la « to do list » en tant que telle pour la réduire petit à petit. La nouvelle donne de l’Assemblée Nationale aujourd’hui est une occasion de moderniser l’approche pour le bien des français avec la recherche de nouvelles structures administratives des débats. En français : encadrer le travail avec des délais de livraison, des états des lieux et des bilans d’efficacité. En un mot : avancer. C’est indépendant de l’opinion politique car beaucoup de « petits sujets » fabriquent la réponse aux gros projets par itération. Chaque étape peut être le fait d’une équipe composée de députés de tous bords, pour passer ensuite le ballon à une autre équipe pour l’étape suivante etc…L’idée est de faire de l’Assemblée Nationale une entreprise au service du pays avec une culture du résultat qui pourrait ancrer une nouvelle forme de gouvernance parlementaire aux pouvoirs élargis. Cela éloignerait également le spectre de la motion de censure, probablement. On en est loin, mais c’est l’occasion ou jamais aujourd’hui.

Évolution à court terme : La migration des pouvoirs vers le législatif en France reste toutefois à double tranchant, car cette « Assemblée 2.0 » n’a pas encore vu le jour. La polarisation, les insultes de LFI, les cachotteries d’un RN-FN repeint à la démocratie par stratégie, les « tout le programme ou rien », les « jamais avec X ou Y » du centre, et autres invectives diverses sont le cancer du progrès, du développement et de la crédibilité de la représentation nationale. Aucun groupe ne s’en est affranchi, malheureusement aujourd’hui. L’échec pourrait donc se révéler patent et redonner les pleins pouvoir aux Présidents successifs à venir sans aucune amélioration de système. E. Macron pourrait s’en frotter les mains, mais la France beaucoup moins. La volonté de coordination est là pour une grande partie des députés, mais pas assez grande encore pour constituer une force visible, nommée, et incontournable. Ce serait pourtant l’occasion de renvoyer la super-présidence à une forme plus démocratique de pouvoir politique et législatif. Par contre, en cas de réussite « à la manière du Parlement Européen », l’autre tranchant serait une forme administrative de pouvoir, sans âme ni vision sur l’avenir autre que l’année en cours et la suivante. Ce qu’on appelle une gouvernance technique. Cela pourrait suffire dans un premier temps pour sortir de l’ornière, mais ne serait pas durable, car les échéances électorales venant, on ne saurait plus quelle tendance identifier ou quelle vision soutenir.

L’électeur serait perdu, plus qu’aujourd’hui encore.

Si cela était possible.

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

4 Commentaires

  1. J'adore votre optimisme forcé

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans le mot "forcé" votre commentaire aurait été optimiste. Sans forcer. Merci toutefois d'avoir parcouru l'article.

      Supprimer
  2. Gabriel MOORAT20/7/24 19:07

    "E. Macron pourrait s’en frotter les mains" je suis persuadé que le Président veut le meilleur pour la France et l'UE. Si l'AN se montre capable de neutraliser les travers, qualifiés de "cancer du progrès", il s'en réjouira, même si son pouvoir en est réduit quelque peu.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour votre commentaire Gabriel. Je crois, comme vous, que le Président souhaite le meilleur pour la France. Mais que ce meilleur passe d'abord par lui. Il y a l'ego, mais aussi la 5e République qui confère tant de pouvoirs aux présidents qu'au bout de 7 années de mandat, l'usure devient un problème, et la lucidité diminue. Ce n'est pas une question de volonté personnelle, c'est la nature et le cadre du job qu'il faudrait modifier, il me semble.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne