Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.
Médias : L’actualité en France diffuse des instants de guerre, avec une quotidienneté presque banalisante par le défilé incessant des images et commentaires des chaînes et médias d’information. C’est leur job, à nous de rester concentrés sur l’idée que les guerres ne sont jamais banales, et que chaque instant de conflit armé est un drame. Ce que nous pouvons retenir toutefois, c’est qu’en France et en Europe, ainsi que globalement dans les pays de l’Occident démocratique, les médias ont le choix du thème, du ton, de l’opinion avec des approches parfois sans recul, mais finalement rarement dogmatiques. Encore une fois, on a le choix de faire le tri, individuellement.
L’équation informative de la Russie de Poutine est beaucoup plus simple : un mythe, un média, de nouvelles lois mémorielles et des animateurs payés pour faire vivre cet ensemble. C’est si limpide que cela ressemblerait à un monde enfantin s’il n’y avait pas les 180 000 soldats tués, dont 120 000 russes, auxquels on peut ajouter environ 50 000 pertes de civils depuis deux ans (source occidentale février 2024).
Genèse et fantasme : Il y a deux facteurs clés dans la démarche d’agression de la Russie. D’une part le CV de V. Poutine qui, du fonctionnaire moyennement reconnu du KGB jusqu’au pouvoir suprême, a découvert pas à pas comment la guerre pouvait servir de socle à un pouvoir durable. D’autre part, la déconstruction de la vérité historique qui permet de mettre en œuvre une politique de « fierté russe » digne de Pierre le Grand, et inscrire les actes dans une forme de défense paranoïaque par inversion du réel. On ne reconstruit pas un empire en parlant des choses qui fâchent. Ce dernier point est au fond plus puissant que toutes les menaces et invraisemblances déversées chaque jour par le Kremlin vers l’Europe et l’OTAN car il donne une explication simple aux populations russes qui envoient frères, maris et fils vers la mort.
Logique mythique : Pour le peuple russe, dans la vision poutinienne, il ne s’agit pas juste d’accepter la guerre, il s’agit d’être fier(e), voire impatient (e). Et la machine de guerre peut fonctionner. Seul un mythe a ce pouvoir. V. Poutine veut y être associé, jusqu’à s’y confondre, pour enfin le devenir lui-même. Poutine veut son Poutingrad comme Lénine (Leningrad, ex Petrograd), Staline (Stalingrad, aujourd’hui Volgograd) et Pierre le Grand (Petrograd, aujourd’hui St Pétersbourg), symboles de mythes différents mais porteurs de cette « fierté russe ».
Caillou dans chaussure : La résistance extraordinaire de l’Ukraine renvoie le boss du Kremlin vers ce petit homme, fonctionnaire moyennement efficace, et d’ailleurs moyennement reconnu : pour lui, c’est un cauchemar, à la hauteur de la violence de l’agression. C’est également la raison qui le pousse à provoquer l’OTAN, car quitte à faire tuer des russes, autant que ce soit face à un adversaire mondial. Même une défaite face à l’OTAN serait moins difficile à avaler qu’une demi-victoire face à l’Ukraine. C’est également la raison pour laquelle notre ministre de la défense Sébastien Lecornu n’avait pas une chance dans son coup de fil récent avec Sergueï ChoÏgou. La France n’est pas l’OTAN. C’était une erreur d’évaluation, retournée comme une forme de soumission. Les arguments ridicules de S. Choïgou n’y changent rien, car il y a une logique du mensonge indispensable. L’Etat Islamique n’est pas non plus dans le scénario, car la vérité ne sert pas la légende. Et un mythe n’est pas une petite comptine, c’est grandiose ou ce n’est pas. Tolstoï en aurait fait un bon ouvrage, même si on ne voit pas encore la paix arriver.
Nucléaire : Les hésitations diverses des alliés de l’OTAN peuvent agacer, et surtout faire craindre une défaite de l’Ukraine mais les stratèges ont bien compris les contours du mythe russe que V. Poutine veut faire (re) vivre. L’Ukraine joue un rôle d’amortisseur. En effet, un mythe a besoin de nourriture pour en acquérir la stature.
Et une confrontation directe en augmenterait l’appétit.
Quitte à disparaître.
Note de l’auteur
Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.
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