1684, 1919, 2024, Versailles - Luxembourg

 Prise de Luxembourg par Louis XIV le 3 juin 1684.

Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris, consul honoraire du Grand-Duché de Luxembourg avec juridiction sur la Normandie et Président du Corps Consulaire de Normandie.

Je me suis replongé, il y a peu dans la redécouverte du film de Sacha Guitry, « Si Versailles m’était conté », aujourd’hui un peu désuet, mais finalement très attachant et paradoxalement très moderne.

Cette approche ludique de l’histoire, pour peu qu’elle soit fidèle, voit s’égrener des scénettes que je diffuserais volontiers sur Tik Tok pour en tester l’actualité.

Ce cinéma, frais, parfois frivole, mais toujours de qualité m’a immédiatement replongé dans le rôle central de Versailles dans l’histoire, y compris très récente, puisque le Congrès s’y réunit.

Mais surtout, alors que les tumultes de la guerre ébranlent notre monde, un petit retour sur deux événements qui lient Versailles au Luxembourg nous permet un regard renouvelé sur notre situation actuelle et sur deux conflits majeurs, proches de nous, en Ukraine et au Proche Orient.

L’histoire de la ville de Luxembourg a été tumultueuse, tant sa position était géostratégique et depuis Versailles, Louis XIV convoitait cette place forte. Il l’assiège en 1684, la prend et la fait ensuite fortifier par Sébastien Le Prestre, celui même qui avait dirigé les opérations de siège de Luxembourg.

Même si je suis un fervent admirateur de ses forteresses, éparses, mais nombreuses en France, celle de Luxembourg ne garantira l’hégémonie française que jusqu’en 1697, année pendant laquelle la ligue d’Augsbourg obligea la restitution de la place aux Habsbourg.

Cette première histoire, brossée rapidement, a des relents très actuels.

L’actualité de la guerre en Ukraine est parfois constellée d’histoires de villes ukrainiennes, victimes du conflit, du fait de leur position géostratégique, Kherson, Kharkiv.

La guerre a aussi comme objectifs des villes essentielles, à la fois stratégiques et symboliques, comme la sublime ville d’Odessa, fondée par Catherine II de Russie, qui prendra son essor sous l’égide d’Armand Emmanuel de Vignerot, ancien versaillais, puisqu’il fut premier gentilhomme de la Chambre du roi Louis XVI, et nommé gouverneur d’Odessa en 1801.

Pour continuer cette histoire, revenons à Versailles, dont la place à l’égard du Luxembourg allait redevenir centrale en 1919, à l’issue de la première guerre mondiale.

A cette époque, une crise éclate, en lien avec des reproches adressés à la Grande Duchesse de Luxembourg, accusée par la gauche d’avoir favorisé la droite par ses interventions politiques pendant l’occupation du pays.

La gauche demandait la déchéance de la dynastie, qu’elle n’obtint pas lors d’un vote au Parlement, alors que, en parallèle, la France et la Belgique menaient des négociations secrètes qui pouvaient affecter l’indépendance du Grand-Duché.

La révolte de la « compagnie des volontaires » et la proclamation de la république, le 9 janvier 1919, ne rencontra pas de soutien populaire et l’abdication de la grande-duchesse Marie-Adélaïde en faveur de sa sœur puînée Charlotte, le 15 janvier 1919 changea les choses.

Un double référendum fût organisé, sur la forme de l'État (monarchie ou république) et sur l'orientation économique du pays après la dénonciation du Zollverein.

Dans le même temps, les vainqueurs étaient réunis à Versailles pour redessiner la carte d’Europe et appliquer le principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », dont la première formulation politique venait d’être donnée par le président américain, Wilson, dans ses « quatorze points », et que le Traité de Versailles utilisera pour partie.

Le Luxembourg moderne était né.

Les nouveaux fondements de droit international étaient posés.

Le monde n’a pas changé.

Les pays belligérants ne sont pas les seuls à disposer de leur destin et les alliances géopolitiques, mues par des considérations présentées comme éthiques, existentielles ou économiques articulent leurs options, loin des théâtres des opérations.

La question du droit des peuples à l'autodétermination est aujourd’hui toujours plus centrale.

Elle est au cœur des positions clivées sur le conflit israélo-palestinien. Elle est aussi au cœur du conflit ukrainien. Dans ces deux conflits s’opposent, à des degrés divers, intégrité territoriale et mouvements séparatistes qui se revendiquent peuples à part entière et, à ce titre, revendiquent leur droit à l'autodétermination.

Le risque est grand à ne pas prendre garde à l’importance de ces mouvements, ailleurs, et dans les pays européens. Le risque est grand à ne pas s’interroger sur ce qui fait qu’un peuple se reconnaît comme nation. C’est assurément dans la prise en compte de ces éléments que réside une des clés de nos conflits contemporains.

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