Génétique et généalogie : aux confins de la Science et de l’Histoire ?

■ Génétique et généalogie : aux confins de la Science et de l’Histoire ?

Sevan Gerard - Praticien, stratège et consultant en sécurité publique, médecine des catastrophes et sécurité mondiale aux États-Unis, secrétaire général de WADEM Europe. Chercheur en philosophie de la technologie et des sciences.

Ce titre impose préalablement de s’interroger sur l’existence d’une limite extrême où finirait la Science et où commencerait l’Histoire, voire même sur la possibilité d’une asymptote qui séparerait indéfiniment l’une de l’autre. Cette question n’est pas anodine puisqu’elle fait débat depuis le XIXème siècle, date à laquelle l’Histoire a commencé à être professée à l’université.

Attardons-nous un instant sur cette question sans prétendre la trancher. La Science possède deux acceptations connexes que l’on a tendance à confondre dans le langage courant. C’est d’abord la somme de connaissances qu’un individu possède ou peut acquérir par l’étude, la réflexion ou l’expérience sur un sujet d’intérêt, comme l’Histoire, par exemple. La Science est aussi une connaissance approfondie de ce même sujet d’intérêt basée sur la collecte, la catégorisation, la classification et l’interprétation de données fiables, vérifiées ou vérifiables selon une démarche heuristique, aboutissant à une représentation acceptée et partagée. La Science est donc autant une méthode que le résultat de cette méthode qui vise à clarifier les lois qui régissent notre univers, à en proposer un sens et à offrir un progrès matériel et spirituel.

L’Histoire contribue à l’évidence à cette démarche telle que nous venons de la décrire puisqu’elle est autant une recherche qu’une connaissance qui visent à l’étude du passé de l’humanité pour en proposer un récit, une analyse, bref une histoire, qui fasse sens et qui nourrisse notre entendement du présent comme notre projection dans le futur. On notera avec profit que l’Histoire fait appel à sciences concourantes telles que l’épigraphie, la papyrologie, la numismatique, l’archéologie, la paléographie, l’ethnologie, la sociologie, l’économie, la démographie, l’anthropologie, la génétique, …

Cependant, étymologiquement parlant, l’Histoire se rapporte spécifiquement à historia (la recherche, la narration et la mémoire d’informations concrètes) qui s’opposerait en quelque sorte à philosophia (la raison, le savoir rationnel ou général donc la science au sens moderne). C’est, du reste, un « récit historique », celui du tremblement de terre de Lisbonne, de l’incendie dévastateur qui en a résulté et du tsunami d’une hauteur de 12 mètres qui a dévasté la péninsule ibérique et les côtes d’Afrique du Nord pour atteindre les Amériques qui a ouvert la voie à une approche scientifique plutôt que métaphysique des catastrophes.

Pour autant, comme le soulignait Michel de Certeau dans la revue « le Genre Humain » en 1983, l’histoire « lutte contre l’affabulation généalogique, contre les mythes et les légendes de la mémoire collective ou les dérives de la circulation orale […], enlève de l’erreur aux « fables » ». En d’autres termes, elle permet, à travers sa méthode analytique propre combinée à celle des sciences auxquelles elle fait appel en renfort, de distinguer les incohérences de la fiction pour, soit en extraire la réalité qu’elle masque éventuellement, soit mettre en lumière la réalité qui était, jusque-là, méconnue.

La parfaite illustration de ce dernier point est donnée par les travaux du Researchers Enhancing Alzheimer’s Diagnostics (READ)*, une équipe pluridisciplinaire internationale, qui, dans le cadre des travaux de développement d’une nouvelle méthode visant à faciliter le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées basée sur analyse innovante des données issues du séquençage à haut débit de l’ADN (NGS), a développé le concept de « congruence génétique et généalogique ».

La méthodologie qui en résulte, exposée par les auteurs dans le numéro de décembre 2022 de la Revue de Gériatrie, a mis en évidence, de manière fortuite, l’identification de la survivance de la descendance par les mâles de Louis XV et de Charles X, dans le cadre de la phase de validation de la méthodologie à travers la comparaison des données ADN publiées de deux membres de de la famille de Bourbon et de celle de l’intéressé, nommé Jean C, dans les articles de la revue médicale.

Cette découverte inattendue, issue de la science, a fait l’objet d’une étude congruente, par le Professeur Alan James du King’s College de Londres qui, aidé de ses propres sources documentaires, a donné une nouvelle vision de la descendance de Louis XIV et par là même à mis en évidence que cette branche méconnue des Bourbons, était la branche ainée de cette famille, les Bourbons issus de Philippe V d’Espagne ou de la famille d’Orléans, étant, en réalité des branches cadettes de la famille royale.

Le professeur James a bouleversé, en la rendant caduque, l’idée reçue que les Bourbons espagnols seraient la branche ainée de la descendance de Louis XIV, alors que la science a démontré qu’une autre famille, celle de Jean C, était, sur un plan génétique, la branche ainée.

Depuis cette découverte, et donc la mise en lumière que la branche ainée de la maison royale de Bourbon avait survécu, ainsi que le démontre les études scientifiques, en la personne de Jean C, la presse généraliste s’est emparée du sujet, dépassant ainsi le cadre scientifique et historique pour révéler qu’il s’agirait de Jean-Philippe C, avocat et diplomate.

L’objet de notre analyse n’est pas de lancer une tribune de presse people, mais de montrer qu’en exploitant, du point de vue historique les articles scientifiques publiés dans la revue de Gériatrie, l’éditorial du Professeur Alan James a contribué à la « lutte contre l’affabulation généalogique » en s’appuyant sur la « congruence génétique et généalogique » du READ.

Cette méthode ouvre, par ailleurs une nouvelle perspective aux cliniciens par la possibilité d’un diagnostic différentiel précoce de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées sur la base de la présence d’au-moins 20 allèles dont le lien statistique avec la maladie en cause est avéré. Elle permet en outre aux chercheurs, d’affirmer pour deux malades diagnostiqués, dès lors qu’ils partagent au moins 20 allèles communs, quels qu’ils soient, qu’il s’agit de cas familiaux méconnus.

Finalement, les confins de la science et de l’Histoire ne divergent pas mais convergent en ce que dans deux disciplines universitaires, ils ont permis un progrès et ouvert des perspectives de recherche. Deux voies d’études se sont ouvertes, celle, sur un plan historique de la famille de Jean C et de la survivance de la branche ainée de la famille de Bourbon, d’une part et celle de l’identification de cas du diagnostic différentiel précoce d’une ou plusieurs maladies, d’autre part. L’aventure ne fait que commencer.

* Le Researchers Enhancing Alzheimer’s Diagnostic (READ) est un groupement pluridisciplinaire international de chercheurs coordonné par le Dr Jan-Cédric HANSEN :

  • Jean-Marie CARRARA, Professeur, Docteur en Pharmacie, diplômé de Biologie Humaine, spécialiste en Identification et traitement statistique des signaux faibles pour l’aide à la décision, Université de Lille ;
  • Don DONAHUE, Chair, Medical and Health Programming Board at World Humanitarian Forum, University of Maryland
  • Paul BARACH, Professor, College of Population Health, Thomas Jefferson University
  • Momar FAYE, Inspecteur de l’action sanitaire et sociale, ARS Normandie,
  • Romain MARTIN, Cadre de Santé, Unité de Médecine Ambulatoire CHU Caen Normandie
  • Stefan GÖBBELS, Head for International Cooperation at the Bundeswehr Medical Service Headquarters
  • Elhadji A B DIOUF, Médecin Chef Département Gériatrie. Pôle de Santé Privé du Diaconat Centre Alsace
  • John QUINN, Charles University in Prague Institute of Hygiene and Epidemiology, First Faculty of Medicine, Prague Center for Global Health
  • Thérèse PSIUK, directrice des soins honoraire, experte à l’ANAP (agence nationale pour l’aide à la performance), membre du comité de pilotage du master II « Coordination des trajectoires de soins » université de Lille
  • Delphine PEYRAT, psychomotricienne en gériatrie, spécialisée dans la prise en soin de personnes porteuses de maladies neurodégénératives.
  • Bachira TOMEH, Chercheur universitaire et conseiller du président de l’Université Rouen Normandie
  • Angèle Flora MENDY, Sociologue, Harvard T.H. Chan School of Public Health
  • Jean-Jacques ZAMBROWSKI, médecin interniste, expert en politique et économie de la santé, président de la Société française de santé digitale, Hôpital Bichat, AP-HP
  • Véronique DAREES, Praticien Hospitalier Gériatre, présidente de l’Espace éthique du Centre Hospitalier Eure-Seine (CHES)
  • Hugues LEFORT, Structure des urgences et SMUR, Hôpital d’instruction des armées Laveran, Marseille, France.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne