« Carthago Delenda Est. » Le wokisme face à la société

 Maître Jean-Philippe Carpentier.


Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.

« Carthago Delenda Est. » (Il faut détruire Carthage) ; Caton l’ancien était très clair, mais, en y regardant de plus près, se pose une question, comment concevoir dans notre monde moderne les paroles de ce grand rhéteur qui concluait ainsi chacune de ses interventions au Sénat romain.

Deux angles sont possibles.

Nietzsche, dans la préface de sa Deuxième considération inactuelle reprend les mots de Caton pour exprimer sa résistance et son opposition face à la vieille transmission traditionnelle de l’histoire.

En ce sens, Nietzsche est presque le premier des « wokistes ».

Caton, pour sa part, ne cessait de rappeler cet impératif pour protéger les conquêtes de Rome et son apport civilisationnel des velléités dominatrices de la cité punique.

Ce bref rappel montre combien une citation, sortie de son contexte, peut être dénaturée.

Et pourtant, tant Nietzsche que Caton illustrent les pensées contradictoires qui irriguent notre monde contemporain.

Brièvement, a été abordé, ci-dessus, le terme de « woke », toutefois, et avant toute chose, il faut définir ce concept souvent employé, sans pour autant, être compris.

Le dictionnaire américain, Merriam-Webster précise, « Woke » est aujourd’hui défini comme « conscient et activement attentif aux faits et questions importantes (en particulier les questions de justice raciale et sociale), et identifié comme un argot américain. Il est issu de l’anglais afro-américain et son usage s’est généralisé à partir de 2014 dans le cadre du mouvement Black Lives Matter. »

Il n’est jamais aisé d’importer dans une culture différente un concept.

Il en est ainsi du « wokisme », qui s’épanouit outre-Atlantique, malgré des résistances qui aujourd’hui lui font face.

Ainsi, au prétexte que « woke » signifierait « éveillé », le « wokisme » est devenu, désormais en Europe, une sorte d’idéologie fourre-tout dans laquelle se cristallisent les mouvements qui se présentent comme luttant contre les discriminations de toute sorte et prônant parfois une convergence des luttes, difficilement conciliable avec les réalités.

Le « wokisme » s’est donc nové vers une promotion de la lutte contre les discriminations et en faveur de l’inclusion.

Et pourtant, rien n’est aussi simple.

Nul ne peut, en effet, se satisfaire du racisme, des discriminations ou de l’absence d’inclusion, dans la vie de la cité, des personnes qui présentent un handicap…

Bien au contraire, l’exigence du bien commun et la simple humanité fait de chacun d’entre nous des « woke » au sens de la lutte contre les discriminations.

N’est-ce pas Saint-Paul qui, dans son épitre aux Galates précisait : « Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. » ?

Alors, face à cet idéal, qu’en est-il du « wokisme » contemporain, celui de l’écriture inclusive qui n’inclut pas celui de la femme iranienne qui demande une émancipation de ses normes vestimentaires à l’opposé des aspirations de certains européens désireux d’imposer de nouvelles normes ?

Finalement, l’opposition entre la vision de Nietzsche et celle de Caton contenait en large part la réponse.

Le premier voulait une nouvelle lecture de l’histoire et l’autre voulait consolider les apports civilisationnels de l’Empire Romain.

Cette dualité est toujours là.

Le « wokisme » souhaite une nouvelle lecture de la société qui inverse les valeurs en mettant au centre de sa grille de lecture des problématiques de discrimination qui, en tant que telles devraient rester à la marge de la société contemporaine, en ce qu’elles ne devraient même pas exister.

Si la discrimination est condamnable, il faut, cependant, se garder de l’ériger en système.

Bien au contraire, il ne faut pas oublier, ni condamner au silence une majorité aujourd’hui silencieuse et qui, dans son écrasante majorité, ne discrimine personne.

Revenir aux choses simples est finalement essentiel en reprenant à notre compte l’idéal chevaleresque, rappelé par Fabrice Midal, celui d’un « être qui cherche à ce que son action ait du sens et soit bénéfique aux autres, à ce que le monde, soit un peu plus habitable ».

C’est ainsi que face au « wokisme » et ses éventuelles dérives doit prévaloir l’intérêt général.

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