Pathologies et Messages Politiques

 Des émeutes urbaines ont embrasé tout le pays suite au décès de Nahel, le 27 juin 2023.


Face aux vents contraires des crises sociales à répétition, aux récents embrasements et aux incertitudes induites par ces événements, la parole politique navigue à vue, au plus loin d’une vision de moyen ou de long terme, dans un tourbillon de réactions, d’appels au calme et de promesses d’action. Lorsque la tempête est terminée et que les feux s’apaisent, on passe à autre chose au plus vite sans s’attaquer à ce qui couve encore.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. La Politique et la théorie de Leucippe (Philosophe grec , Ve siècle av JC)

Selon cette théorie, les principes premiers de la réalité sont le plein, le vide et le mouvement. Pour jouer l’analogie avec la politique, on peut considérer le plein comme l’état de crise, le vide comme l’état de paix ou calme relatif et le mouvement comme les réformes et décisions de changement. D’une certaine façon, ces trois éléments fonctionnent sur un axe qui est le mouvement. En effet, le plein bloque le mouvement et le vide l’encourage. Mais comme tout effet a une cause, le risque que le mouvement déclenche le plein est particulièrement fort en France. Pour éviter les nœuds au cerveau on peut simplement dire que les réformes présentent toujours un risque de protestation, et que la paix sociale est un terrain favorable à la mise en place de nouvelles lois avec le risque d’abimer cette paix si les décisions sont incomprises ou contraires à l’équilibre. Entre la réforme des retraites et l’embrasement « Nahel », nous sommes exactement sur ce schéma, avec une difficulté majeure à passer du plein au vide.

II. La crise et les liens complexes

On ne peut nier que des phénomènes d’inquiétude exogènes rampent dans la société, aiguisant les réactions extrêmes tant en politique que dans la rue. La récente pandémie, la guerre à nos portes, le risque climatique avéré, le « quoi d’autre encore ? » dans les catastrophes possibles, résonnent dans la société comme une fin d’histoire sans voir encore le début d’une autre. Dans les livres d’histoire on appelait souvent ces moments d’incertitude des « fins de siècle » ou des « fins de règne », sans qu’une responsabilité unique puisse en être identifiée, comme une fatalité. Les messages envoyés par nos responsables politiques, au gouvernement ou dans les partis, ne rassurent à vrai dire personne. Il y a une pathologie court-termiste, qui peut se comprendre à titre individuel mais pas dans une fonction dirigeante de l’Etat. Les milliards investis sur les gilets jaunes ou les banlieues n’ont rien résolu. Peu importe qu’ils aient été bien ou mal investis, le problème réside dans la conjonction ignorée ou compartimentée de familles différentes de causes. Pour être clair, l’éducation et l’immigration ont une finalité commune qui est l’intégration. Il ne suffit pas de déclarer l’égalité des chances pour que cette égalité existe, cela reste une formule si on ne relie pas les éléments stratégiques qui se complètent. L’inégalité sociale ne se résout pas seulement par l’impôt et les aides sociales mais conjointement par la transparence de l’information sur ces inégalités. Imaginer son voisin plus riche n’est pas la même chose que de savoir d’où vient son argent. Le savoir peut agacer, mais le soupçon tue. Enfin, la violence policière face à la violence urbaine est une histoire de poule et d’œuf. Chercher qui a commencé revient à participer à ces tensions, voire à les augmenter. La société produit la violence autant qu’elle la contrôle dans les liens complexes entre éducation, religion, immigration, jeunesse, pauvreté, et inégalités. Il s’agit bien d’un seul et unique sujet, et non de plusieurs, répartis en différents ministères.

III. La fatalité et les moyens

Les messages envoyés par l’Etat sont contreproductifs. Evoquer la « dé-civilisation » de la part du chef de l’Etat est une manière de dire «  ce n’est pas de ma faute » avec une forme fataliste et sans avenir. La culpabilité est d’ailleurs un moteur puissant des dirigeants qu’ils soient ministres ou Présidents en France. On n’admet pas l’échec, on a toujours tout bien fait. On augmente le budget de la police et de la gendarmerie, ce qui en soi est une bonne chose mais on ramène le sujet sur les simples moyens, comme si c’était la solution aux problèmes globaux. Un problème = un budget : quoi de plus simple ? D’ailleurs cette augmentation prévue n’est pas événementielle mais quasi linéaire, comme le montre ce tableau d’évolution prévisionnelle. (source : Sénat / Rapport général n° 115 (2022-2023), tome III, annexe 29, volume 1, déposé le 17 novembre 2022 )

IV. Du faux-pas à la fausse route

L’absence de vote de l’Assemblée Nationale sur la réforme des retraite est un pur échec politique. Bien sûr, on pavoise dans la majorité gouvernementale en expliquant avec quel courage on a « fait passer » cette réforme mais la société se souvient juste de la lâcheté du procédé, même si la Constitution l’autorisait. Le message envoyé est une claque inutile vers les citoyens et les extrêmes gauche et droite en profitent. C’est une pathologie politique qui conduit à passer, dans l’inconscience, du feu couvant au feu brûlant. Là aussi les liens existent entre une démarche peu digne aux conséquences profondes dans le monde du travail, et le geste terrible d’un policier en service. Le second hérite de la colère sociale du premier, mais cette fois sans syndicat ni service d’ordre, et dans l’oubli simple de « l’autre ». Il ne s’agit pas ici de taper sur l’Etat comme responsable de tout, mais de suggérer une approche stratégique des sujets en les reliant entre eux. La réforme devait sans doute être menée, mais quelle urgence à l’imposer de la sorte sans mesurer la température sociale et les conséquences désastreuses probables. La pathologie du court terme, du tableau Excel, et de la seule représentation présidentielle sur tous les sujets (qui connait les noms des ministres ?) ne fait qu’encourager la personnalisation des haines, qui atterrissent aujourd’hui dans des boutiques vandalisées, des mairies et des écoles saccagées, des pompiers et des policiers agressés, et des élus locaux brutalisés.

Après ce jeune homme tué, ce sont ces inconnus-là qui payent.

Dans cette pathologie politique, il n’y a que des perdants.

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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