La guerre de succession d’Espagne, une clé d’analyse pour comprendre la situation en Ukraine

 Bataille de Denain (1712), le commandant militaire français Claude-Louis-Hector, duc de Villars, battant le prince Eugène de Savoie pendant la guerre de Succession d’Espagne. 

Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.

Alors que la guerre en Ukraine ne cesse d’émailler l’actualité, les clés d’analyse pour la comprendre manquent souvent.

Cette guerre est, à la fois, moderne car asymétrique et, traditionnelle, car elle est aussi une guerre de tranchées.

Une comparaison avec la guerre de succession d’Espagne, sans en livrer tous les ressorts, permet d’en approcher certaines dimensions.

Il en est ainsi des apports de l’Histoire, avec des parallèles souvent féconds, car tout aussi semblables ou dissemblables que sont les conflits, leur solution ou du moins le règlement de leurs suites émerge systématiquement d’une approche consensuelle diplomatique.

Les apports de la guerre de succession d’Espagne dans la compréhension de la guerre en Ukraine procèdent de leurs nombreuses analogies.

La finalité, de l’une comme de l’autre, est le contrôle d’un, voire de plusieurs territoires.

Le caractère européen, voire mondial de l’un et l’autre des conflits est affirmé.

Pour la guerre de succession d’Espagne, était en jeu, la succession au trône d’Espagne, après la mort sans descendance de Charles II qui avait choisi Philippe, duc d’Anjou et petit-fils de Louis XIV, pour lui succéder et non l’un de ses cousins Habsbourg.

Les revendications successorales trouvaient leurs sources dans l’histoire des maisons souveraines européennes.

De la même manière, qui n’a pas entendu la Russie justifier par l’histoire et par l’usage de la langue russe dans certains territoires, son appétit sur le territoire ukrainien.

Du reste, une partie de cette histoire est commune aux deux pays et de manière anecdotique ; mais significative, il échet de se rappeler, par exemple, qu’en 1794, l’impératrice Catherine II signait le rescrit ordonnant la construction du port et de la ville d’Odessa.

Pour sa part, lors de la guerre de succession, l’Espagne, était à la tête d’un immense empire qui s’étendait sur l’Espagne, au sens moderne du terme, une partie de l’Italie, les Pays-Bas méridionaux (l’actuelle Belgique) et une grande partie de l’Amérique latine, où elle avait imposé sa langue, l’espagnol.

Au-delà du territoire, ses richesses et ses positions géostratégiques attisaient les convoitises, comme c’est le cas, aujourd’hui en Ukraine.

La guerre de succession d’Espagne était pour son époque un conflit européen, au sens de ses participants puisqu’il opposait la France, alors au sommet de sa puissance, à une coalition emmenée par l’Angleterre, la Hollande et l’empereur Léopold, chef de la maison de Habsbourg.

Elle était aussi un conflit mondial au regard des territoires contrôlés par ses protagonistes.

Si la guerre en Ukraine n’est pas une guerre mondiale, elle n’en reste pas moins un conflit ancré territorialement en Europe, en partie asymétrique et l’absence de co-belligérance, au sens juridique du terme, de pays tiers, ne saurait masquer les implications de ces derniers dans le conflit ukrainien.

Pour en terminer sur ces quelques convergences, force est de constater que le conflit long (plus de 10 ans) et complexe que fut la guerre de succession d’Espagne a vu, à son issue, s’installer un nouvel équilibre des puissances européennes et mondiales qui perdurera jusqu’à la Première Guerre mondiale.

A tous points de vue, le coût de la guerre de succession d’Espagne fut colossal pour les puissances qui y étaient engagées.

Celui de la guerre en Ukraine l’est aussi et l’actualité de nos médias en témoigne tous les jours.

Comme pour tout conflit, après il a fallu trouver à la guerre de succession d’Espagne une solution pour se diriger vers la paix.

Comme pour tout conflit, la diplomatie a finalement tenu son rôle et la sortie du conflit fut ainsi diplomatique.

Aucune guerre n’échappe, par nature, à cette dimension diplomatique.

Des tentatives de cette nature ont déjà eu lieu dans le conflit ukrainien sans succès apparent à ce jour.

Il est cependant dans la nature même de la guerre que la solution diplomatique n’émerge qu’après une forme d’épuisement des belligérants.

La solution diplomatique au conflit espagnol de naguère apporta à chacun des belligérants une victoire en demi-teinte que l’épuisement, sur tous les plans, des intervenants a rendu inéluctable.

La guerre de succession d’Espagne s’est alors soldée :
  • Par un affaiblissement considérable de l’Espagne, qui a perdu le contrôle de nombreux territoires, et dont les contours actuels ont été quasi modelés par les règlements diplomatiques du conflit, Gibraltar en est un exemple ;
  • Par l’émergence d’une nouvelle dynastie qui pour régner en Espagne a dû renoncer définitivement pour le nouveau roi Philippe V d’Espagne et ses descendants à toute prétention possible au trône de France ;
  • Par une victoire française apparente et finalement à la Pyrrhus ;
  • Par une nouvelle géographie européenne et mondiale qui a marqué l’Europe jusqu’au premier conflit mondial et a eu des répercutions évidentes pour les protagonistes lors du processus de décolonisation.
L’affaiblissement de l’Espagne a aussi marqué son recentrage sur elle-même et posé les bases d’un pays où existe un sentiment d’appartenance, parfois émaillé de la volonté des peuples à disposer d’eux -même, comme en Catalogne.

Le conflit ukrainien se distingue aujourd’hui de la guerre de succession d’Espagne par son caractère manifestement asymétrique et l’importance de la communication et des réactions des opinions publiques au niveau international.

Il est impossible, cependant d’affirmer que nous en serions au stade de l’épuisement des belligérants.

Il n’en demeure pas moins que l’Histoire nous apprend que la sortie d’un conflit passe par la négociation pour aboutir à la paix et tous les belligérants en conservent les stigmates, le plus souvent pour longtemps et le plus souvent avec de territoires aux contours modifiés.

Fustel de Coulanges sensible au rôle de l’Histoire rappelait « L’histoire ne nous dira sans doute pas ce qu’il faut faire, mais elle nous aidera peut-être à le trouver ».

Aussi, et alors que les conflits armés sont toujours cause de souffrances et que la guerre n’est pas, dans le monde moderne, exempte du sang versé, ce tribut est payé tant par les uns que par les autres, tant par les agresseurs que par les agressés.

Il appartient aux diplomates de savoir proposer leur médiation dans le respect du droit international et d’apprécier, in concreto, l’état d’épuisement des belligérants pour construire et proposer une solution de sortie du conflit considérée comme juste et adaptée, acceptée et partagée par tous, et la justice fera alors son œuvre.

2 Commentaires

  1. Bonjour, votre article sur l'épuisement mutuel des belligérants est éclairant. Et si je vous comprends bien, toute tentative diplomatique avant cet état de perméabilité psychologique est (quasiment) vouée à l'échec
    il s'agira pour les diplomates de choisir le moment le plus opportun pour avancer les propositions de "semi-victoires" afin que personne ne se sente trop lésé dans l'affaire. Un moment qui arrive en fin de nuit avant l'aube dans nombre de négociations, qu'elles soient salariales ou dans les prises d'otages.
    J'en déduis qu'il faudra faire très attention à ne pas proposer une trop bonne solution au milieu du conflit, tant que les belligérants en sont encore "aux mains".
    Que de morts en perspective nous nous promettons encore à moyen terme avant que ne se profile l'espoir, l'esprit, puis la plume, d'une solution!
    #marievallet-mange

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    1. Je vous remercie pour votre commentaire.

      Effectivement, la solution diplomatique émerge, en général, après une forme d’épuisement des belligérants.

      Il ne s’en déduit pas qu’il ne faudrait pas proposer une bonne solution en milieu de conflit, mais simplement qu’une solution n’émerge comme acceptable que lorsque les esprits ont compris qu’elle était la seule issue.

      La diplomatie, comme tous les efforts pour voir émerger une solution tendant vers la paix doivent être faits, tout au long du conflit.

      Jean-Philippe Carpentier

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