Europe : La Démocratie et la Guerre

 À gauche, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européennen, à droite le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

À l’exception des guerres de l’ancienne république fédérative de Yougoslavie entre 1991 et 2001, dites « guerres des Balkans », L’Europe a vécu dans une paix intérieure sur plusieurs générations. Les 6 républiques de l’ex-Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Serbie, Kosovo, Monténégro, Macédoine) n’ont impacté que leur sol, dans une forme d’indifférence-ignorance des populations des pays d’Europe, aucune grande puissance n’étant partie prenante frontalement. Cet « effet de Paix » est donc une réalité depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour les populations de « baby-boomers », aujourd’hui retraités, et leurs descendants. La Démocratie en paix semblait donc, jusqu’à aujourd’hui, inscrite dans le marbre de l’inconscient collectif.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. L’absence de réel

Les catastrophes internationales ne prennent sens dans l’esprit des citoyens qu’à partir du moment où les expériences personnelles se multiplient, en lien avec l’événement. Par exemple, la pandémie est devenue réalité lorsque des voisins ou des proches étaient atteints, mettant ainsi en perspective une sensation de « gravité massive ». Dans le cas de la guerre Russo-Ukrainienne c’est essentiellement l’inflation qui percute les portemonnaies autant que les esprits. Depuis, la réalité de la guerre, perçue en Europe sous cette forme de simple inconvénient, a néanmoins atteint cette sensation de « gravité massive », au-delà du symptôme inflationniste. Curieusement, les démocraties européennes, bien que puissants supports de l’Ukraine, ne communiquent pas ce sentiment d’unité à leurs populations. Il y a une délégation aux médias pour informer et éventuellement mobiliser mais il n’existe pas de manière claire d’expression politique vers les citoyens pour une position nationale assumée face à l’agression russe. Les démocraties ne nient pas la guerre, mais elle doit rester indirecte le plus longtemps possible en espérant que cela suffise. La stratégie de la communauté européenne est évidemment raisonnable et à but sécuritaire, mais il est possible que cela maintienne la réalité de cette guerre dans une forme de spectacle audiovisuel pour les européens, en particulier les habitants des pays les plus à l’ouest.

La réalité est pourtant bien là : [Ministère des Armées - Guerre en Ukraine : le dossier]

II. Le beurre et l’argent du beurre

Il existe de nombreuses raisons géopolitiques pour tenir la guerre à distance, partant d’un risque de déséquilibre mondial accentué jusqu’à celui d’un Armageddon mortifère. C’est d’ailleurs une réalité européenne et américaine, autant que russe ou chinoise. Mais c’est aussi une forme d’attitude politique propre à la démocratie, et plus matériellement, un gain de temps pour réarmer de manière sérieuse les forces de défense nationale de chacun des pays. Le long temps de paix a amoindri les puissances conventionnelles, et l’Ukraine démontre chaque jour l’importance de ces armes et de la compétence militaire dite classique. La complexité pour l’Europe vient aussi de la double mission que constitue l’aide militaire matérielle et formation accordée à l’Ukraine et le développement de sa propre défense conventionnelle. Pour mémoire, cette aide européenne pour 2023 se monte à ce jour à 18Mds d’euros, ce qui correspondrait à 40% du budget de la défense d’un pays comme la France. Toutes les parties impliquées dans le conflit ont compris que la capacité nucléaire n’était plus l’enjeu. Ce sont bien la qualité, la précision, l’automation, la technologie et la quantité des armes à fournir à l’Ukraine pour se défendre qui sont au cœur du sujet. Mais également, l’équivalent à produire pour la défense potentielle de chacun des membres de l’UE, et par extension de l’ensemble des alliés occidentaux, agit comme un miroir de ce que l’Europe doit faire pour elle-même. C’est un investissement colossal.

Ce document de l’OTAN, sur le lien suivant, permet de mieux comprendre le terme de « guerre hybride » et les nouveaux enjeux de défense de ce siècle : [Revue de l’OTAN - Guerre hybride : nouvelles menaces, complexité, et la confiance comme antidote]

III. L’enjeu du leadership

L’une des certitudes de V. Poutine avant le déclenchement de l’invasion était que l’Europe serait faible, décousue, lente, dans le verbe plus que dans l’action et sur un fond d’OTAN inexistant. Se tromper à ce point est digne d’un livre de records. Ces erreurs signeront à terme sa fin, et si la future histoire le veut, la fin des conflits.

Mais il reste un point qui freine le développement d’une armée européenne puissante : l’absence de leadership politique, et donc d’état-major stratégique et militaire. C’est un point dur de l’Union Européenne, partagée entre le respect du droit souverain des nations qui la composent, et l’urgence d’une construction européenne plus verticale dans les domaines de défense : renseignement, effectifs, matériels. On peut tabler sur une coordination organisée mais un projet global nécessite un leadership global, une stratégie unique. A Bratislava, ce mercredi 7 juin, à l’occasion du forum dédié à la sécurité en Europe de l’Est et du Nord, E. Macron compte marteler, et donc proposer, son leadership pour une sécurité collective. Que ce soit une posture personnelle ou une proposition stratégiquement préparée pour la France, on ne peut qu’adhérer à l’idée. Mais se proposer comme leader de la défense européenne ne suffit pas à la faire exister pour la simple et bonne raison que cela doit se situer dans une logique « OTAN » pour ne pas donner aux américains le sentiment qu’ils peuvent se délester sur l’Europe de toute responsabilité. Ce serait un pari perdant.

Le leadership de défense, dans nos démocraties européennes, se partagera toujours avec celui des Etats-Unis.

L’histoire, en ce 6 juin (date d’écriture de l’article), reste une solide référence.

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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