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La guerre du silicium aura lieu
Au cours des derniers jours, même si vous n’êtes pas un spécialiste de l’Intelligence Artificielle, vous avez dû entendre parler de la société chinoise DeepSeek. Mais de quoi s’agit-il exactement et quels sont les enjeux ?
L’Intelligence Artificielle* (IA) peut être vu comme la « métatechnologie » qui va permettre d’accélérer et d’innover dans des domaines clés comme l’informatique, la robotique, la défense ou encore le génomique. Il s’agit du domaine technologique fondamental des prochaines décennies.
La capacité à maîtriser l’IA est donc considérée comme la clé d’une domination technologique et au-delà, pour les États, d’une domination géostratégique. Ainsi les États-Unis en ont fait une priorité absolue, et dans le cadre de leur rivalité avec la Chine ont décidé de restreindre l’exportation de toute technologie pouvant aider les Chinois dans ce domaine, notamment tout ce qui a trait aux processeurs de dernière génération. Et cela semble marcher car les États-Unis apparaissent aujourd’hui comme l’acteur (très) en avance sur l’ensemble de la chaîne de l’IA grâce à ses géants numériques comme Google, Microsoft ou Nvidia et à des start-ups comme OpenAI – l’inventeur de ChatGPT- ou Anthropic.
Cette avance est notamment assise sur des moyens financiers colossaux. En effet pour développer des IAs et notamment les IA génératives comme ChatGPT il faut entraîner ce qu’on appelle des modèles de langage (LLM) sur des corpus de données gigantesques à l’aide de dizaines de milliers de processeurs extrêmement chers. Ces processeurs – fabriqués le plus souvent par la société Nvidia – coûtent chacun plusieurs dizaines de milliers d’euros et il faut donc des investissements de plusieurs milliards pour développer ces IAs.
Ce paradigme économique de l’IA est celui qui prévaut aujourd’hui et a donné lieu à l’annonce par Donald Trump d’un plan baptisé Stargate qui consiste à investir la somme faramineuse de 500 milliards de dollars d’ici à 2030 pour développer les prochaines générations d’IA. Ici l’objectif est de concevoir à terme ce que qu’on appelle une Intelligence Artificielle Générale (IAG) c’est-à-dire une IA capable d'effectuer ou d'apprendre pratiquement n'importe quelle tâche cognitive propre aux humains, qu’on qualifie aussi parfois de Super Intelligence. Comme dans un film de science-fiction l’entité ou l’organisation qui serait la première à accéder à l’IAG pourrait « dominer » le monde.
Et puis arriva DeepSeek… on savait que la Chine développait aussi ses propres IAs et qu’elle disposait de bataillons d’ingénieurs très compétents, qui ont d’ailleurs été capables de créer des géants du numérique comme WeChat ou TikTok, mais il était difficile de savoir quel était leur retard par rapport aux États-Unis. On pensait notamment que les restrictions d’accès aux derniers processeurs de Nvidia constituaient un handicap insurmontable.
Dans ce contexte l’annonce par DeepSeek le 20 janvier dernier de son modèle (LLM) R1 a retenti comme un coup de tonnerre. En effet ce modèle affiche des performances comparables voire supérieures aux meilleurs modèles américains, et en plus DeepSeek annonce des coûts de développements des dizaines de fois inférieurs à ceux des sociétés US. Cerise sur le gâteau le modèle R1 est accessible (partiellement) en mode open source, c’est-à-dire que son utilisation, sa modification et sa redistribution sont possibles sans restrictions majeures. Stupeur ! les Chinois font aussi bien et beaucoup moins cher. Et cela a plusieurs conséquences qui sont capitales : Tout d’abord les investissements faramineux envisagés aux USA apparaissent totalement en décalage avec ces IA beaucoup plus frugales – elles ont besoin de beaucoup moins de ressources informatiques pour s’entraîner et fonctionner. Sans surprise les acteurs majeurs de l’IA américaine et notamment Nvidia ont dévissé en bourse, avec plusieurs centaines de milliards de dollars de capitalisation boursière évaporés. On verra si cette correction est temporaire ou durable.
La Chine confirme qu’elle peut rivaliser avec les États-Unis malgré les restrictions d’accès à certaines technologies. Pour cela, elle a développé d’autres méthodes d’ingénierie – et elle va avoir ses héros de la tech comme Liang Wenfeng le fondateur de DeepSeek – et créé ses propres écosystèmes technologiques qui se rapprochent de ceux des US en termes de performance. D’ailleurs AliBaba, le géant chinois du commerce électronique, a annoncé sa propre IA il y a quelques jours et elle semble elle aussi très prometteuse. L’Europe continue d’être largement absente du paysage – malgré quelques tentatives d’exister dans ce domaine comme celle de la société Mistral – et pour une fois ce n’est pas le manque de moyens qui semble être l’obstacle principal.
On pourra conclure en se rappelant du projet de « guerre des étoiles » lancé par Ronald Reagan dans les années 80 qui visait à affaiblir la Russie en affirmant la suprématie technologique américaine. Les années qui viennent seront celles de la guerre de l’IA, ou encore de la guerre du silicium entre la Chine et les USA, mais on n’en connaît pas encore le vainqueur.
*Par commodité on utilisera Intelligence Artificielle comme un terme générique dans cet article regroupant un ensemble de méthodes, d’outils et de technologies permettant de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité ».
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