■ Le pape Léon XIV lors d’une conférence de presse (12 mai 2025).
Premier souverain pontife né aux États-Unis puis naturalisé péruvien, il appartient à l’ordre de Saint Augustin. Homme de terrain en tant que missionnaire au Pérou dans sa jeunesse puis de l’ombre en qualité de prieur général des augustins depuis le Saint-Siège, son expérience est aussi riche que plurielle. Le pape Léon XIV est sensibilisé aux problématiques des périphéries - il a passé la majeure partie de son sacerdoce au Pérou - tout comme il possède une expérience solide de l’aspect pratique de sa fonction. Ainsi, peut-on lire dans sa devise épiscopale : « in illo uno unum » ( nous sommes un dans le Christ ) - directement tirée du psaume 127 d’Augustin d’Hippone ( sed et nos multi in illo uno unum) - sa volonté de réunir périphéries et occident non plus comme deux entités distinctes, mais comme une seule et grande Église.
Nous pouvons d’ores et déjà envisager que le pontificat de Léon XIV sera dans la lignée de celui de François bien que ce pressentiment se fonde essentiellement sur une volonté de voir se poursuivre l’œuvre d’un pape somme toute apprécié. En outre, les interprétations autour de celui qu’on se complaît à surnommer « le nouveau pape » en dit plus long sur la crainte des fidèles de voir rompue la proximité amorcée par le pape François que sur les véritables ambitions de Léon XIV.
I - L’impatience des foules
« Qu’êtes-vous allés contempler au désert ? Un roseau agité par le vent ? » (Luc 7,24)
Si les catholiques ont appris que bienveillance et joie prévalent sur l’ensemble des craintes qui entourent l’arrivée d’un nouveau Pontife - « Annuntio vobis gaudium magnum » - il semblerait que nombreux soient ceux à avoir occulté ce principe.
Accusé de devoir son élection au désistement du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du pape François, Léon XIV devient l’objet, avant même son installation, de rumeurs injustifiées. La proximité du cardinal Parolin avec son prédécesseur et sa coresponsabilité concernant les accords chinois, ayant empêché, au regard de l’opinion, son élection. Léon XIV se voit alors endosser le rôle de second choix d’un conclave dont l’issue était connue d’avance des cardinaux. Une défiance qui résonne comme un blasphème quand on songe à la sacralité de la place du pape au sein de l’Église.
Pourtant, le fait que les fonctions du cardinal Pietro Parolin en tant que secrétaire d’État n’aient pas été abrogées par Léon XIV illustre une volonté de continuité entre les deux pontificats et un gage de confiance réciproque. En somme, l’inverse des soupçons de rivalité et de coups bas relayés en masse par les médias puis répétés aveuglément par les fidèles.
La principale interrogation auréolant le début du pontificat de Léon XIV se concentre sur sa filiation avec le pape François. Robert Francis Prévost, cardinal depuis seulement deux ans, sera-t-il un second « pape des périphéries » ou un traditionaliste dans la veine du controversé cardinal Sarah ? Optera-t-il pour l’inclusion comme son prédécesseur ou divisera-t-il une Église qui, il y a treize ans seulement, était au bord du schisme ?
Beaucoup auront interprété la première apparition de Léon XIV à la loggia de Saint-Pierre, revêtu de la mozette rouge, de l’étole pontificale et la croix pectorale portée par Benoît XVI comme le signe d’un retour à la tradition. Un jugement hâtif quand on songe que si le pape François avait opté pour une simple soutane blanche, Jean-Paul II, connu pour avoir été le pape du dialogue interreligieux, arborait lui aussi les symboles d’apparat traditionnels. Or, le pape François était un héritier direct du progressisme de Jean-Paul II par qui il a été nommé cardinal et dont il partageait la même conception de la foi. Une interprétation erronée qui laisse pantois quant à la capacité des observateurs de faire abstraction de l’homme pour se concentrer sur uniquement sur le pontife. Car si Robert Francis Prévost avait envie d’emboîter le pas de Jean ou de Jean-Paul Ier, Léon XIV est devenu, dès sa première apparition, l’anti-François qu’il n’est vraisemblablement pas.
Le début d’un pontificat est souvent vécu comme un moment de projection collective. Certains, notamment les nostalgiques de Benoît XVI, y cherchent des ruptures tandis que d’autres, plus proches du progressisme amorcé par Jean-Paul II puis perpétué par François, espèrent une continuité rassurante. Mais l’essentiel n'est pas de savoir si Léon XIV sera un pape traditionaliste ou s’il suivra la lignée de son prédécesseur. La parole du Christ à ceux qui suivaient Jean-Baptiste résonne aujourd’hui pour ceux qui scrutent chaque geste et chaque mot du « nouveau pape. »
Qu’espèrent-ils trouver ? Un faiseur de miracles médiatiques ? Un réformateur éclair ou un pasteur fidèle à l’Évangile ? Le risque est grand de transformer le Souverain Pontife en symbole de nos attentes personnelles, ou pire, en acteur de notre polarisation idéologique. Aussi, Léon XIV n’est ni « le nouveau pape » ni le remplaçant de François mais bien son successeur. Et pour cause, l’Église ne se gouverne pas comme une entreprise, mais comme une famille spirituelle. Elle est corps vivant, enraciné dans l’histoire, protégée par l’Esprit-Saint, mais aussi à rebours des problématiques politiques européennes et/ou internationales. Léon XIV n’est pas un roseau agité par le vent. Il est homme, choisi dans la prière et dans le secret du conclave, et c’est sur ce roc humain que le Christ continue de bâtir son Église.
II – De la fumée blanche aux prophéties de plateau
« Ne touchez pas à l’oint du Seigneur. » (1 Samuel 26,9)
Avec l’avènement des médias sociaux, cette manie de réduire l’Église à une dialectique partisane s’est intensifiée, devenant plus toxique que jamais.
Ce cycle - si humain – de l’admiration hâtive suivie du désenchantement brutal est une vieille tentation. L’Écriture illustre avec force : le peuple d’Israël acclamé Moïse jusqu’à réclamer un veau d’or quand il tarde à redescendre de la montagne. De même, combien de fidèles attendent d’un pontificat qu’il vienne combler leurs propres projections idéologiques ?
Mais un pape n’est pas un héros de série ou un influenceur clérical comme ceux que promeut « Progressif média » l’agence de communication du groupe Bolloré. Il est le serviteur des serviteurs de Dieu. Un pasteur et non pas une starlette que Madonna se sent en droit d’interpeller sur la situation à Gaza. Dans une époque avide de commentaires cinglants, la parole de David, refusant de lever la main contre Saül malgré ses fautes, rencontre un écho particulier. Le pape, qu’on le veuille ou non, est cet oint - non au regard de ses idées, de son tempérament ou de son style - mais par sa charge. Et cette onction n’est pas une immunité contre la critique ; c’est un rappel que toute critique à son encontre revient à jeter l’opprobre sur la foi catholique et sur la parole de Dieu.
Or, aujourd’hui, Léon XIV est déjà la cible des colonnes satiriques, des critiques des analystes du dimanche de Cnews, des mots vénéneux des anonymes via les réseaux sociaux. Je pense notamment aux propos christianophobes débinés par Mickaël Szerman, petit élu local et héraut à temps partiel de la politique de Benjamin Netanhayou sur Cnews. Arborant le ruban jaune en faveur du retour des otages israéliens, le chroniqueur s’est fait une joie de la mort du pape François dont il espérait qu’elle « réveillerait » la foi des catholiques, qu’il jugeait en voie d’extinction. Si la chaîne aux obsessions migrationnistes, identitaires et sécuritaires n’a pas hésité à franchir les limites de la décence afin de promouvoir l’extrême-droite, elle illustre pleinement la récupération politique à laquelle la foi catholique doit s’opposer. Un phénomène que nous pouvons aussi retrouver en interne de l’Église, mais également dans les discours des fidèles.
La figure du pape devient alors le catalyseur des espérances et des frustrations, et ce, sans qu’il n’ait encore fourni la moindre encyclique.
Mais c’est méconnaître le mystère du ministère pétrinien : être pape n’est pas un rôle d’apparat, c’est une vocation dans la lignée d’un Pierre tremblant et pourtant choisi par Jésus. Celui qui critique le pape afin de promouvoir un quelconque parti politique ou des idéologies oublie qu’il se tient face à un homme chargé de responsabilités que nul autre ne porte.
Il est fort aisé, de nos jours, de réduire un pontificat à un discours, une posture ou une étole pontificale. Pourtant, l’Église n’est pas une scène médiatique et le pape n’est pas une égérie idéologique. Il est, comme l’écrivait saint Ignace d’Antioche, le garant de l’unité, le lien visible entre les fidèles, le corps ecclésiastique et le Christ. Alors que Léon XIV entame à peine son ministère, notre devoir n’est pas de le comparer à François, de spéculer sur ses décisions futures, mais de prier pour qu’il demeure fidèle à l’Esprit-Saint, dans un monde où tout passe et où seul Dieu demeure.
À ceux qui l’observent avec crainte, aux intégristes catholiques et aux extrémistes d’autres religions, qu’ils entendent cette parole :
« Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. » ( Zacharie 13,7)
Ne devenons pas les artisans de cette dispersion. Accueillons ce début de pontificat avec humilité, espérance et silence tout en nous rappelant la devise de notre Saint-père.
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