■ Illustration par François Guery.
Ici, on ne cherche ni à « comprendre » ni à expliquer, justifier, ou accuser, quoiqu’à l’évidence il y ait lieu d’accuser. On veut décrire, caractériser. Mettre des mots sur des gens, des conduites, des crimes qui ne ressemblent pas à ce qu’on accepte et aime.
On est devant deux cas très inégaux, l’un est russe, l’autre français. Deux personnages dont l’un est au pouvoir depuis des décennies, un tyran tout-puissant ; l’autre vieil apparatchik du Parti socialiste des années 1970, militant trotzkiste de l’OCI en parallèle, régnant sur une formation d’opposition depuis le quinquennat de Hollande, qu’il s’est enorgueilli d’avoir « pourri ». Comment ces deux despotes, le géant et le nain, seraient-ils commensurables ?
C’est qu’ils se réclament de la même histoire, et recopient laborieusement ce qui n’a réussi qu’une fois, considérant que c’est une affaire de « science expérimentale », et que les mêmes aboutissements tiennent aux mêmes principes d’action. Il n’y a eu dans la séquence des « révolutions » dont les marxistes sont les propagateurs qu’une réussite, douteuse peut-être vu les résultats à terme, mais certaine en tant que prise de pouvoir au nom du « peuple », celle d’octobre 1917, après des expériences inabouties, 1789, 1848,1870, 1905. On observe que celle qui a réussi en Russie est mise sur le même plan que celles inabouties en France, comme si ces deux pays étaient jumeaux.
Ce bréviaire est commun à Poutine et à Mélenchon, ainsi qu’à tous ceux sur la planète qui croient au léninisme.
De plus, il y a divers types de « léninistes » et ceux-là font partie des apparatchiks, des fonctionnaires, notamment dans les « services secrets » pour ce qui concerne Poutine. Il faut comprendre ce que signifie un tel service.
Le service secret consiste en fait à violer des secrets, ceux des citoyens lambda que le Parti veut contrôler jusque dans le détail de la vie privée, aussi bien que ceux des plus proches collègues. Il y a une longue histoire derrière cette émergence du KGB, le berceau de Poutine. Michel Foucault jadis, dans Surveiller et punir comme dans sa Volonté de savoir, a analysé le parcours chrétien qui mène à « sonder les reins et les cœurs » des fidèles, partant du principe que le péché est un mal chronique et qu’il appelle une surveillance vigilante de chaque instant. L’homme mauvais, vicieux, sournois, est devenu le citoyen contre-révolutionnaire, rebelle en sourdine, traître à la classe devenue dirigeante. Joseph Djougaev, dont la famille émigrée en Géorgie a géorgianisé son nom en Djougashvili, enfant de chœur et chanteur doué, se surnomme Staline, « l’homme d’acier » en allemand phonétique (Stahl, l’acier). Il poursuit et extrapole sur ce chemin du contrôle des âmes par un appareil dur comme l’acier, insoupçonnable, représentant la divinité sur terre. Nietzsche avait compris que le modèle le plus parfait de la Volonté de puissance était l’organisation militaro-religieuse de la Compagnie de Jésus, celle qui hante Voltaire et lui fait écrire ec. l’inf. en bas de ses lettres (écrasons l’infâme religion chrétienne). Nietzsche faisait d’une telle réussite un modèle pour organiser dans l’avenir un élevage de races supérieures. Foucault humilié dans son pensionnat de jeunesse s’en est souvenu en reprenant les plans de Nietzsche pour retracer la route du christianisme vers l’hégémonie.
Les fonctionnaires du KGB se pensent investis d’une mission transcendante, par delà bien et mal. La moralité ordinaire ne suffit pas. Aucun sacrifice n’est excessif ni choquant pour maintenir le pouvoir de l’appareil de contrôle, qui est la Justice sur terre. Partout, on discerne de la corruption, de la trahison. Il y a la Ligne, et elle est sans cesse déviée par le clinamen des tentations bourgeoises égoïstes, légères inclinaisons qui mènent au retour du passé honni. Un regard perçant déshabille sans cesse le peuple fautif, l’appareil incertain ou séduit.
Inutile de dire que l’Ukraine est la figure même, pour ces Savonarole, ces Frollo, de la trahison impudique et impudente, d’où l’idée de les tuer jusqu’au dernier, tant ils sont irrécupérables. Douguine l’a écrit, prescrit. On ressuscite la figure d’Ivan le terrible, quand Kiev était le berceau de la Rus de Kiev.
Quand Mélenchon sort des rails de sa doctrine de « libération de la Palestine » et du renversement du gouvernement ultra-libéral en France pour parler géopolitique, il montre Zelensky du doigt et le déclare illégitime, sans oser dire nazi, mais c’est un premier pas vers une condamnation à mort de l’Ukraine dissidente.
Apparatchik de la première heure et entriste trotzkyste au Parti Socialiste, Mélenchon n’a pas appris d’autre métier que celui de fonctionnaire de la Révolution. Il a ânonné l’histoire des révolutions ratées et réussies, a fait fermenter en lui-même et partout la haine de classe qui est sa Ligne, la faisant partager par une jeunesse qui n’a pas connu les temps du goulag et n’y voit goutte. Tout ce qui peut contribuer à renverser un gouvernement mal élu, mais élu, est un tremplin vers le Pouvoir sacré qui est sa Mission. Comédien, il exprime si bien le fanatisme quand il harangue qu’on peut se demander si cela ne lui vient pas des tripes. La rage haineuse est contagieuse et se répand. Lorsque l’Europe devra se défendre, elle trouvera à la place de Macron en fin de mandat des gens comme lui, ou ses rivaux du RN, pour aligner la France nucléaire sur les positions de ses ennemis de l’Est.
Sur un plan géopolitique plus global, les différences de ces pseudo-révolutions avec les contre-révolutions islamistes radicales tendent à s’estomper, puisque toutes ces mouvances ont un ennemi commun, les libertés individuelles, la liberté de penser, la libération des mœurs, et en général Les Libertés, qui partent d’une confiance en l’humain, malgré tout. Un étau se resserre, mais leur adversaire est aussi intérieur : ils combattent la tentation de vivre qui anime leurs victimes sous contrôle fragile, ainsi qu’on le voit dans la résistance intérieure aux mollahs d’Iran.
La partie n’est pas jouée. Les Frollo finissent démasqués, punis.
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