■ Louis-Philippe Ier, roi des Français, ici peint en uniforme d’officier général en 1841. (©DeAgostini/Getty Images)
Sébastien Charléty est un historien français du siècle dernier (1867-1945). Membre de l’Institut, de l’Académie des sciences morales et politiques, Président de Commission supérieure des Archives nationales, il nous propose avec ce livre une étude magistrale consacrée à la monarchie de Juillet (1830-1848). Celle-ci est préfacée par Arnaud Teyssier, auquel nous devons, entre autres, une très belle biographie dédiée à l’un des plus grands hommes d’Etat français : le cardinal de Richelieu.
Par Franck Abed - Philosophe, historien, théoricien politique, conférencier, il a commis à ce jour deux mémoires universitaires et douze livres. Auteur de Napoléon, un héros éternel, aux éditions Orvilloise.
Dans sa préface remarquable, Teyssier raconte le parcours de Charléty et nous présente dans les grandes lignes l’objet de l’ouvrage. Il revient sur le contexte historique avec lequel Charléty dut composer son œuvre, pour rappeler la dimension éminemment politique d’une telle publication. Cette dernière, ne l’oublions pas, intervient en 1921 au moment même où la République paraît triomphante et durablement installée, quoique réellement affaiblie par la guerre de 1914-1918. Le régime de Louis-Philippe subissait de nombreuses critiques plus de soixante-dix ans après sa fin. En effet, il symbolisait, à tort ou à raison, le capitalisme triomphant et le pouvoir de l’argent. Cette vision prévaut encore de nos jours.
Louis-Philippe, comme le précisent très bien l’auteur et le préfacier, se trouvait à la tête d’un pays divisé. Il entendait « réconcilier les deux France, celle de l’Ancien Régime et de la Révolution », dans le but de donner naissance « à une société nouvelle, unie, apaisée, dédiée à la liberté et au progrès ». Il demeure important de connaître les motivations des hommes qui participèrent à ce grand projet politique. Teyssier énonce que : « ceux qui ont fait la révolution de 1830 sont d’abord des bourgeois, des intellectuels libéraux, sincèrement attachés aux acquis de 1789, mais nullement désireux de susciter à nouveau les désordres et la violence des années qui ont accompagné et suivi la première chute de la monarchie en 1792 ». La justification de leur action repose sur l’idée suivante : « ils estiment que Charles X et la politique de son dernier ministère ont sorti les Bourbons de la légalité qu’ils avaient eux-mêmes acceptée et définie ». Nous voyons ici la différence essentielle entre institution et constitution, légitimisme et orléanisme…
Des contemporains du Roi bourgeois ont écrit, tel Heinrich Heine considéré comme « le dernier poète du romantisme », que Louis-Philippe avait retenu les enseignements de la révolution de 1789. L’écrivain allemand parle même d’un « apprentissage révolutionnaire » et d’un « jésuitisme politique dans lequel les jacobins ont parfois surpassé les disciples de Loyola ». Heine écrit que Louis-Philippe dispose « d’un trésor de dissimulation héréditaire, légué par ses ancêtres les Rois de France, qui furent toujours plutôt renards que lions ». Nous frôlons ici le catéchisme républicain et anti-monarchiste. Toutefois, nous citons ce propos pour montrer comment le fondateur de la dynastie des Orléans était alors perçu.
Dans un souci d’exhaustivité, précisons que celui-ci est aussi regardé comme « un Bourbon acceptable, le fils d’Egalité, le soldat de Jemmapes, le seul prince émigré qui n’eût pas combattu sa patrie ». Comme l’explique à plusieurs reprises Charléty, cette double nature présente le désavantage d’être sa force, mais également sa plus grande faiblesse. Louis-Philippe est « révolutionnaire par sa jeunesse et l’ascendance encombrante de son père, Philippe-Egalité, et royaliste par son caractère et sa filiation ». Ce pesant héritage « ne cessera de le miner » et provoquera en fin de compte sa perte. Effectivement, Charléty pose le constat suivant : « en 1848, pour éviter de verser un peu de sang, il sacrifiera son régime à une jeune république qui se révélera vite beaucoup plus répressive et plus fragile encore ». À l’image de Louis XVI et de Charles X, Louis-Philippe répugne à faire tirer sur la foule au moment critique. Pourtant, il convient parfois d’user de la manière forte pour que le peuple rentre dans le rang.
En 1830, nombreux sont les Français qui ne désirent plus voir Charles X au pouvoir. D’aucuns lui reprochent de ne pas respecter ses engagements, tout en faisant prendre au régime un virage autoritaire. Certains veulent la République, d’autres espèrent en Napoléon II ou lorgnent vers le Duc d’Orléans. Alors que son pouvoir vacille, le dernier des Bourbons à régner sur la France ignore tout du sort qui l’attend, il déclare : « notre cause est celle de Dieu et la Providence éprouve ses serviteurs ». La fin de son pouvoir est déjà consommée. Les tractations s’engagent. Le National titre habilement : « il nous faut cette république déguisée sous une monarchie ». Ils l’auront par la volonté de Louis-Philippe, car tel fut son bon plaisir.
La présentation des événements se veut limpide et pédagogique. Charléty décrit donc parfaitement les derniers soubresauts du régime de Charles X et l’avènement de son cousin, premier prince du sang sous la Restauration. L’auteur démontre, avec un sens inné de la formule, la capacité extraordinaire à manoeuvrer du duc d’Orléans au milieu des différentes factions (armées, gouvernement, députés, républicains, bonapartistes, extrême gauche, etc.) désirant toutes influer sur le cours des événements.
Avant de gravir la dernière marche du pouvoir, Louis-Philippe doit se rendre à l’Hôtel de Ville de Paris ou le très libéral La Fayette l’attend. Charléty raconte : « Le duc entre dans la grande salle. C’est un tumulte. Il agite la main. Il parle. On se tait. Il prend La Fayette par le bras, l’entraîne à une fenêtre. Tous deux, enveloppés d’un drapeau tricolore, s’embrassent. La foule crie : Vive La Fayette ! Vive le Duc d’Orléans ! La partie est gagnée. Le baiser républicain de La Fayette a fait un roi, écrira Chateaubriand ».
Dès le départ, la monarchie de Juillet n’entend pas s’inscrire dans la tradition et la légitimité. A ce titre, il convient d’opérer une césure avec le passé : « pour marquer qu’il s’agissait d’une royauté nouvelle, sans liens de filiation avec l’ancienne, le nouveau roi s’appellerait non pas Philippe VII, mais Louis-Philippe 1er ; il aurait le titre de roi des Français, et non de roi de France par la grâce de Dieu ». Charléty déclare que : « la lutte commencée en 1815 entre les Bourbons et le parti libéral se terminait par la défaite des Bourbons ». De notre point de vue, la guerre avait été déclarée bien avant la chute de Napoléon 1er, mais cette idée relève d’un autre sujet.
L’auteur prend le soin d’analyser Louis-Philippe, ses idées et ses méthodes. Nous pouvons lire : « il semble bien que les idées politiques de Louis-Philippe aient toujours été d’une grande simplicité. Gouverner, c’est vivre suivant les circonstances. La nécessite de vivre peut lui imposer des façons d’agir contraires à ses préférences, elle ne lui dicte jamais de principes, c’est un politique, non un doctrinaire. Sur les grandes questions : suffrage, éducation nationale, rapports entre l’Eglise et l’Etat, sort des classes laborieuses, il ne choisit ou n’accepte une solution que pour des raisons d’ordre public et non de vérité ou de justice ; il répugne probablement aux grands sujets sûrement aux solutions hardies ; il est pour le juste milieu, il est capable d’expédients, non de choix résolus et de foi ». Ce passage dévoile parfaitement les causes conduisant à l’échec final de la monarchie orléaniste.
Charléty poursuit son oeuvre en expliquant, par le menu, tous les aspects de cette monarchie républicaine ou de cette république monarchique : les différents ministériats, les hommes forts du règne, les opposants, la situation nationale et internationale, les succès, un certain essor économique, les échecs, notamment l’incompréhension des élites pour les aspirations de l’ensemble de la société française. L’étude se montre complète, fouillée et sérieuse. Effectivement, elle repose sur une documentation riche et variée. Elle dresse un portrait objectif d’un régime long de dix-huit ans, dans une France difficilement saisissable, parce que prise de passions contraires à la fois stimulantes et étouffantes. Cet excellent ouvrage nous plonge au coeur de cette époque, qui vit finalement le drapeau tricolore remplacer le drapeau blanc, la monarchie constitutionnelle se substituer à la monarchie légitime. Ironie de l’Histoire, ce système était né sur les barricades de 1830, il se termine à cause des barricades de 1848. Ces dernières contribuent à l’installation de la Deuxième République. Louis-Philippe et ses différents gouvernements restent souvent incompris. Cependant, ce livre permet de mieux les connaître en cernant les ressorts profonds de cette monarchie de Juillet, souvent critiquée, mais en réalité fort méconnue car peu étudiée.
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